Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le célèbre teutomane Frédéric-Ludwig Jahn, né à Lanz, près Lenzen, en Prusse, le 11 août 1778, était un niais de la plus méchante espèce, un niais politique. C’était un don Quichotte qui se croyait un Goetz de Berlichingen : il réunissait même en lui les deux caractères principaux du roman de Miguel de Cervantes, deux contrastes frappans : il joignait le bon sens philistin de Sancho Pança à l’enthousiasme stérile du chevaleresque hidalgo de la Manche. Il représentait admirablement bien toutes les extravagances du vieux parti anti-français, sa petitesse d’esprit, son orgueil tranchant, son patriotisme sec, inintelligent et égoïste. Le patriotisme de ce parti était un composé d’ignorance et d’orgueil, d’envie et d’impuissance. Une haine aveugle et violente pour la France était le fond de ce sentiment soi-disant patriotique. Rempli de souvenirs confus de la domination de Napoléon et des guerres de délivrance, il tentait de lutter contre la nature des choses, contre le génie de la civilisation. La plupart des membres influens du parti anti-français appartenaient aux classes privilégiées de la Prusse, de la Saxe et de la Bavière. Ennemis du progrès social des peuples, rêvant le rétablissement des institutions féodales, ils abhorraient la France comme le foyer des lumières et des révolutions politiques et sociales. Rien n’était plus logique ; mais, chose étrange, le chef du parti gallophobe, l’illustre Frédéric-Ludwig Jahn, était imbu lui-même des opinions libérales de la révolution, et pourtant sa haine contre la France était la religion de sa vie, son cheval de parade, son moyen de parvenir à la popularité. Il était partisan enthousiaste de la liberté, et il passait sa vie à insulter la nation française, à dénigrer son caractère et ses mœurs, à combattre ses institutions comme son influence extérieure. En 1814, nous le voyons prêcher la vengeance aux souverains alliés contre l’ennemie héréditaire de l’Allemagne. En 1815, il demanda hautement le partage de la France. Il alla plus loin encore. Dans un accès de délire sauvage, il proposa de dévaster les provinces françaises limitrophes de l’Allemagne, et d’y créer une forêt vierge remplie de tigres, de léopards et d’autres gentilles bêtes, pour empêcher à l’avenir tout contact entre la candeur loyale des Germains et la corruption perfide des Gaulois !

Comment expliquer ce phénomène moral, ce contraste énigmatique entre l’amour de la liberté et la haine contre une nation qui a si vaillamment combattu pour le progrès de l’intelligence, de la justice, de la civilisation européenne ? Nous avons eu beau étudier les œuvres de cet Anacharsis Clootz du patriotisme teutonique, nous n’avons pu parvenir à en débrouiller l’idée principale. Hélas ! toutes les idées du pauvre teutomane sont embrouillées comme des toiles d’araignée, toutes ses vues politiques sont enveloppées dans un épais nuage ultra-germanique. Son style est en parfaite harmonie avec l’originalité de ses tendances nationales : il jure avec toute élégance française. Il est à la fois lourd et ampoulé, incompréhensible et somnifère ; le vague y est complet. Il y a des Français qui prétendent qu’on ne peut pas être clair en allemand ; ceux qui liront les écrits de Frédéric-Ludwig Jahn ne reviendront pas de cette erreur. Ces écrits sont heureusement peu volumineux : ils sont au nombre de six. Le premier, publié en 1800, est intitulé : De l’encouragement du patriotisme dans l’empire allemand, dédié à tous les Prussiens, par O.-C.-C. Hoepimer. C’est à un nommé Hoepffner en effet qu’il avait vendu sa qualité et ses droits d’auteur pour la modique somme