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ports entre l’état et la littérature. Non, le gouvernement n’est point appelé à exercer une intervention directe dans les lettres ; il n’avait pas et ne pouvait avoir la pensée d’interdire à des écrivains des relations anciennes, de leur prescrire des relations nouvelles. S’il avait pu exister des doutes à ce sujet, ces doutes sont dissipés aujourd’hui par une note du Journal général de l’Instruction publique, une note dont les termes seuls sans doute ont besoin d’être expliqués pour qu’on en puisse saisir l’esprit tout libéral. « Le ministre, dit la note, n’a interdit à personne d’écrire dans tel journal ou tel recueil littéraire. » Seulement l’auteur de la rectification semble craindre que la liberté ne soit pas également sauvegardée du côté de la Revue des Deux Mondes, qui « obligerait les écrivains dont elle reçoit les articles à s’abstenir de toute collaboration dans d’autres revues. Or le ministre a déclaré qu’il n’acceptait pas cette servitude pour les membres de l’Université… » Il y a ici évidemment un point à éclaircir. Si l’auteur de la note n’a jamais à défendre la liberté que contre ce recueil, sa cause sera bientôt gagnée, avec le consentement du coupable lui-même. Que le Journal de l’Instruction publique se rassure, la Bastille a été détruite, et elle n’a point été rétablie à la Revue, où personne n’a le goût ni d’imposer ni de subir une servitude quelconque. Où sont donc les moyens dont pourrait disposer ce recueil pour exercer une sorte de domination, pour faire peser sur des écrivains des obligations et des contraintes ? Il ne dispose que de ces quelques feuilles de papier qui depuis vingt-six ans vont parler au public, où plus d’un talent s’est illustré, et qui n’ont dû leur succès qu’à une réunion de noms souvent éminens, toujours honorables. Ce qu’on appelle une obligation imposée par la Revue n’est que le plus simple effet de mutuelles convenances ; c’est une condition qui découle de la nature des choses.

Ce n’est point au hasard, en effet, que s’accomplit une œuvre collective et que des écrivains se rassemblent ; il y a un lien d’intelligence entre eux. Toutes les opinions peuvent n’être point complètement identiques ; mais on se rapproche par les goûts, par les tendances de l’esprit, par mille affinités intellectuelles. Une certaine solidarité morale s’établit, des habitudes d’intimité se forment, et ce lien nécessaire une fois créé, pourquoi le romprait-on ? Un centre littéraire n’est point un lieu de passage où l’on s’arrête un soir à l’aventure pour se mettre le lendemain à la poursuite de quelque aventure nouvelle. Les écrivains ne sont point des acteurs qu’on fait comparaître sur tous les théâtres. S’il en était ainsi, la vie littéraire ne serait qu’une promiscuité faite pour dégoûter tous les esprits sérieux. La sollicitude que témoigne le Journal de l’Instruction publique en faveur des écrivains de l’Université est bien juste ; seulement ceux-ci pourraient ne point tenir à être tant protégés. Ils ne se croient pas, nous le supposons, atteints dans leur liberté là où ils s’adressent à des lecteurs nombreux, là où ils trouvent des moyens de notoriété qu’ils n’auraient point partout, et ils ne se croiraient pas nécessairement affranchis parce qu’on leur offrirait d’aller se livrer ailleurs à un dialogue mélancolique avec quelques rares lecteurs. Chose assez singulière ! on reproche aujourd’hui à la Revue de faire une sorte de violence morale à des écrivains pour les retenir ; on l’a accusée d’autres fois d’être exclusive et de repousser tout le monde. La vérité est qu’elle n’exclut personne et qu’elle ne contraint personne ; elle ne recherche pas même si,