Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/921

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Européens, n’ayant plus à craindre d’être mangés sous un gouvernement dirigé par des hommes de leur race, abordèrent dans ces îles, et leur présence, en imposant aux chefs indigènes une retenue qu’ils avaient jusque-là ignorée, mit fin aux actes arbitraires comme aux caprices superstitieux.

L’œuvre de ce demi-héros fut continuée par son successeur le prince Liholiho, qui monta sur le trône sous le nom de Kamehameha II. La tâche du nouveau roi fut relativement facile. Aidé par l’influence des femmes à demi délivrées de l’oppression du tabou, il fit cesser toutes les pratiques superstitieuses qui les tyrannisaient encore ; aidé par l’influence des Européens et des missionnaires qui s’étaient installés dans l’archipel dès la première année de son règne, il ordonna la destruction des idoles et prononça officiellement la mort de la religion nationale. À la suite des missionnaires protestans arrivèrent les missionnaires catholiques, et le christianisme fut définitivement établi dans ces îles. M. Hill récrimine beaucoup contre les missions catholiques, il les accuse d’avoir semé dans la population des germes de division. Il cite quelques paroles assez sensées d’un chef indigène nommé Boki, qui s’était opposé avec force à l’admission des missionnaires français. « Chez les nations puissantes et éclairées, aurait dit Boki, de nombreuses sectes peuvent exister et vivre en parfaite harmonie, mais dans une aussi petite société que la nôtre, toute différence d’opinions religieuses exciterait des contentions dangereuses, arrêterait le progrès de la civilisation, et amènerait peut-être la complète désorganisation de la société. » Ce n’était vraiment pas mal raisonner pour un sauvage ; seulement Boki se chargea de démentir ses propres paroles, et se convertit au catholicisme dès qu’il eut vu célébrer la messe. Quoi qu’en dise M. Hill, le catholicisme, par ses pompes, ses cérémonies, ses images et ses pratiques, semble bien mieux approprié que le protestantisme à des populations naïves, peu raisonneuses, gouvernées surtout par les impressions extérieures. Nous ne pensons pas que la confession soit une si mauvaise institution pour les femmes hawaïennes, et nous ne croyons pas qu’elles soient assez sophistiquées déjà pour avoir appris tout le parti qu’on peut tirer de l’absolution. Les récriminations et les citations de Paul-Louis Courier nous semblent assez déplacées, et la seule chose que nous puissions lui concéder, c’est qu’il est toujours à craindre en effet que certaines populations ne prennent les cérémonies du culte pour la religion même, l’ombre pour l’esprit. Cependant ce danger disparaît si les Hawaïens possèdent les dons intellectuels que M. Hill et presque tous les voyageurs leur attribuent. Des hommes qui ont une aptitude si marquée aux mathématiques, qui se gouvernent constitutionnellement et prononcent dans leurs chambres législatives des discours tout aussi bien raisonnés