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souche de la dynastie régnante. L’histoire de ce bizarre héros est intéressante, elle prouve que le monopole des grandes âmes n’appartient pas exclusivement à certaines races, et que nous n’avons le droit de mépriser aucune peuplade, si misérable qu’elle soit. Lorsque l’illustre et infortuné Cook découvrit, pour sa gloire et son malheur, l’archipel hawaïen en 1778, chacune de ces îles était gouvernée d’une manière indépendante et par un roi national. En 1782, tout changea de face. Le roi d’Owhyhee mourut, laissant à la manière des rois mérovingiens une partie de son royaume à son fils Kiwalao et l’autre partie à son neveu Kamehameha. L’ardent Kamehameha déclara la guerre à son rival, le tua après un combat acharné qui dura, dit-on, huit jours, et réunit l’île entière sous sa domination. Il ne s’en tint pas là. Il avait à se venger du roi de l’île de Mawhee, qui avait envoyé des secours à son rival. Il le vainquit, ajouta Mawhee à ses domaines, et retourna écraser la rébellion des chefs qui s’étaient soulevés derrière lui. Quelques années après, lorsque Vancouver lui eut enseigné à former une armée et lui eut donné des armes à feu, il partit à la tête d’une armée de seize mille hommes pour aller conquérir les autres îles de l’archipel, qui depuis cette époque a formé un seul et même royaume. Ce conquérant, qui était extrêmement doux comparativement à ses prédécesseurs, avait de vagues instincts de civilisation qui seraient probablement morts en lui, si la découverte des îles et les fréquens voyages des navigateurs anglais n’avaient pas coïncidé avec son règne. Deux matelots, Isaac Davis et John Young, avaient été pris et retenus comme otages après des combats meurtriers entre l’équipage d’un navire américain, l’Eleanor, et les indigènes. Le roi se prit d’amitié pour eux, en fit ses ministres, et sous leur influence les désirs vagues de civilisation qui se trouvaient chez Kamehameha prirent une forme précise. À cette influence permanente, il faut ajouter l’influence exceptionnelle de Vancouver, qui dans ses fréquens voyages aux îles Sandwich avait fini par prendre un grand empire sur l’esprit du roi. C’est à ses bienfaisans conseils qu’on doit les principaux progrès accomplis dans ces îles en si peu de temps. C’est lui qui ébranla dans l’âme de Kamehameha la croyance aux superstitions nationales, qui releva la condition des femmes, et fit cesser les nombreuses interdictions qui pesaient sur elles. Quoique comblés d’honneurs et de richesses, les deux matelots américains se sentaient atteints de nostalgie et désiraient revoir leur pays ; Vancouver les consola, les encouragea à rester là où ils étaient comme des sentinelles perdues de la civilisation. Sous l’action commune de ces deux matelots, du brave Vancouver et de Kamehameha, leur complice dans cette œuvre de civilisation, les choses changèrent rapidement de forme ; la promiscuité diminua, les sacrifices humains et les repas de cannibales disparurent.