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anglicane[1], nous pourrions sans danger pour nos intérêts proclamer l’indépendance d’Otahiti et engager les autres nations à la reconnaître. Malheureusement nos moyens d’action sont très différens de ceux de l’Angleterre. « C’est tant pis, » dira M. Hill, et nous le dirions volontiers avec lui, mais c’est un fait. L’œuvre de civilisation que l’Angleterre accomplit si rapidement avec le concours de ses citoyens, la France est condamnée à l’accomplir plus lentement par l’action de son gouvernement. M. Hill gémit sur la condition des Otahitiens. Je ne vois pas cependant qu’il cite aucun fait assez grave pour motiver ses gémissemens ; bien plus, il reconnaît que les habitans d’Otahiti sont mieux logés que les habitans des îles Sandwich. Les maladies introduites par les Européens sont les mêmes dans les deux archipels. Quant à la dépopulation d’Otahiti, elle est sensible ; cependant, après avoir atteint un certain niveau, elle s’est arrêtée, tandis que celle des îles Sandwich ne discontinue pas. Nous n’avons pas ouï dire qu’un système de taxes pareil à celui de M. Judd ait été introduit à Otahiti, et nous verrons tout à l’heure les conséquences de ce système que M. Hill mentionne si froidement.

La France et l’Angleterre ont donc signé ensemble la déclaration par laquelle l’indépendance des îles Sandwich est reconnue. S’il y a désintéressement d’un côté, c’est assurément du côté de la France. En signant ce traité, elle s’est interdit pour l’avenir tout droit d’occupation ; en outre, c’est bien l’indépendance des naturels du pays qu’elle a entendu protéger : elle n’a pas de nationaux à défendre ; son commerce avec ces îles est plus que minime : le seul article que nous puissions échanger avec les naturels est celui des spiritueux, et justement le traité le frappe, dans un intérêt de moralité publique, d’une demi-prohibition. Nos missionnaires ne sont pas assez nombreux pour lutter contre les missionnaires protestans. Le traité ne nous confère en réalité qu’une influence morale. N’est-ce rien cependant ? Tout récemment cette influence nous a mis à même de retarder un acte d’agression, sans aucun profit pour nous et au grand avantage de l’Angleterre.

En effet, depuis quelques années les Anglais ont trouvé des concurrens redoutables dans les Américains. La conquête de la Californie, l’extension de leur marine marchande et de leur commerce, leurs récentes communications avec l’extrême Orient, ont donné pour les États-Unis un grand prix aux îles Sandwich. Ils se sont vite aperçus que cet archipel formerait une excellente station navale pour les navires californiens. Le sol de ces îles convient d’ailleurs admirablement à l’établissement des plantations et aux cultures qui sont propres aux états du sud : le coton, le tabac, le riz, la canne à

  1. Lorsque M. Hill visita Otahiti, il n’y avait dans l’Ile que deux prêtres.