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un âge avancé, ne dédaignait pas d’entrer en lice. Ainsi il résolut en deux heures le problème compliqué de la brachystocrone, c’est-à-dire de la courbe que doit suivre un corps pesant lorsqu’il descend le plus vite possible d’un point à un autre point donné. Il semblerait que cette ligne doit être droite, mais Newton démontra que c’était une courbe déjà étudiée par Pascal. Il résolut aussi un problème proposé par Leibnitz, qui avait demandé la recherche d’une ligne courbe telle qu’elle coupât à angle droit une infinité d’autres courbes d’une nature donnée, mais expressibles par une même équation. Toujours, quelque anonyme que fût sa démonstration, on le reconnaissait, comme disait Bernouilli, tanquam ex ungue leonem.

Les avis sur les agrémens de la conversation de Newton et de son visage sont très partagés. Ses portraits et ses bustes paraissent annoncer une belle figure, et son neveu Conduitt fait de ses yeux, de ses cheveux blancs, de sa démarche, une séduisante description. D’autres au contraire ne voyaient rien en lui de remarquable, et, pour eux, sa conversation avait peu d’attraits. Dans un dîner pourtant, raconté par Deslandes[1], il se montre animé et hardi et porte un toast que Voltaire n’aurait pas désavoué. « Voici une anecdote, que je raconte, non pour l’honneur qui s’attache à la bienveillance et à la familiarité du plus grand homme de notre siècle, mais parce qu’elle intéresse l’histoire de la philosophie. Durant mon séjour en Angleterre avec le duc d’Aumont, qui unissait une générosité rare à de grands talens, je fus invité à dîner par l’illustre M. Newton, et, comme il est d’usage en Angleterre de boire à la fin du repas à la santé des rois et des princes, qui d’ordinaire connaissent peu les philosophes, ayant avec eux si peu de rapports, M. Newton me proposa très judicieusement de boire à la santé des honnêtes gens de tous les pays : « Nous sommes tous amis, ajouta-t-il, car nous poursuivons tous le seul véritable objet de l’ambition humaine, la connaissance de la vérité. Nous sommes tous de la même religion, car, menant une vie simple, nous nous conformons à ce qui est juste, et nous cherchons sincèrement, suivant nos faibles lumières, à offrir à l’Être suprême le culte qui doit le mieux lui plaire. » Les témoins de ce discours étaient M. Halley, M. de Moivre et M. Craig » tous mathématiciens du premier ordre. » Des récits analogues, marqués d’une admiration plus ou moins grande pour l’esprit de Newton et pour son hospitalité, sont nombreux. Ainsi un ministre de l’église unitairienne de Pologne, Samuel Crell, a dépeint avec enthousiasme l’esprit de Newton et la variété de ses connaissances. D’autres ont été plus sévères : l’évêque Atterbury ne trouvait rien en lui, ni dans

  1. Histoire critique de la Philosophie, vol. II, p. 264-265.