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furent adoptées. On a le droit d’être sévère pour un pareil procédé, et le type parfait d’honneur, de probité, de perfection morale et de délicatesse que les historiens anglais s’efforcent de trouver chez Newton en est singulièrement altéré. Ce qui est très honorable pour ces mêmes historiens, c’est qu’ils ont publié toutes les pièces les plus contraires à leurs conclusions et les plus défavorables à leur compatriote. Ainsi le livre de sir David Brewster, ce panégyrique si passionné et parfois si éloquent, contient des documens nouveaux qui éclaircissent toute cette histoire, et montrent la part active prise par Newton à la décision de la Société et à la nomination du comité, qu’il prétend formé de personnes illustres de diverses nations, bien qu’il ne fût composé que des amis de Newton. Les deux seuls étrangers étaient le ministre de Prusse et un protestant français réfugié, qui devaient être d’avance bien disposés pour Newton, qu’ils connaissaient ; ils ne furent d’ailleurs adjoints à la commission que fort tard, trois jours seulement avant le rapport de Halley. Enfin il est à peu près prouvé que Newton composa lui-même une dissertation anonyme intitulée Recensio commercii epistolici, dans laquelle Leibnitz est fort injustement traité.

Leibnitz, de son côté, ne fut pas irréprochable. Dès la publication du livre des Principes, il le traita avec mépris, parut l’avoir à peine lu, et s’en appropria toutes les découvertes. Il obtint de Jean Bernouilli une lettre imprimée dans les Acta eruditorium de Leipzig, et qui retourne contre Newton l’accusation de plagiat, en montrant que les publications de Newton sur les mathématiques étaient postérieures à celles de Leibnitz. Ici la mauvaise foi est évidente, car des lettres et des manuscrits prouvent que la méthode des fluxions était découverte vingt ans avant d’être publiée. Ce qui compromette plus le caractère de Leibnitz, c’est qu’il dévoila bientôt l’auteur de la lettre pour lui donner plus d’autorité, quoique Bernouilli, embarrassé de l’avoir écrite, eût demandé le secret. Les lettres se succédèrent rapidement, et la meilleure de toutes est celle où Newton parle de la philosophie de son adversaire et réfute le système de l’harmonie préétablie ; la moins pardonnable est une lettre de Leibnitz à la princesse de Galles, où, longtemps après la querelle, il accuse Newton à la fois dans ses découvertes et dans ses croyances. Il ne se contente pas d’affirmer que la prétendue découverte de l’attraction fait rentrer dans la physique la croyance aux causes occultes, aux miracles, qui en avait été péniblement expulsée, quoique Newton eût expliqué cent fois qu’il ne prétendait pas connaître les causes premières[1], et que la force d’attraction ne soit ni plus ni

  1. Les causes premières nous sont toujours inconnues ; mais il n’est pas vrai que les sciences ne s’occupent que des lois, et jamais des causes. Depuis Newton, on sait que la pesanteur est la cause des mouvemens célestes, comme depuis Franklin on sait, que l’électricité est la cause du tonnerre et des éclairs.