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atteints serait-elle donc si grande, qu’ils ne pourraient la supporter longtemps, et qu’au bout de quelques années ils perdraient même la dose, de raison qui nous est accordée à tous ? Les admirateurs de Newton ont protesté contre une pareille tache à sa mémoire, et quelques-uns ont prétendu qu’il n’avait jamais été malade. Sir David Brewster discute longuement la question et attaque vivement le biographe français. Il faut avouer qu’Il y a des preuves des deux côtés, mais écartons d’abord toute exagération. Il est certain qu’en 1692 et 1693 Newton a été malade ; il est certain aussi que, dans les trente dernières années de sa vie, il avait tout son bon sens. S’il a perdu, sinon la raison, tout au moins une partie de sa grande faculté d’attention, ce dérangement a été momentané, et deux ans après il n’y paraissait guère. Il est singulier pourtant qu’aucun biographe anglais n’en ait parlé, et que le plus grand philosophe du XVIIe siècle ait perdu la raison sans qu’aucun de ses contemporains » de ses élèves, de ses amis ou de ses adversaires s’en soit aperçu. On a des récits dr l’accident du laboratoire, l’un d’eux même est écrit par un étudiant de l’université, M. Abraham de La Pryme, élève de Newton, et aucun ne parle des effets de cette contrariété sur la santé du professeur. De plus, c’est vers l’époque fixée par Huyghens, dans les premiers mois de 1693, que le docteur Bentley, chapelain de l’évêque de Worcester, nommé à une chaire fondée par Boyle dans une des églises de la métropole, écrivit à Newton pour lui demander les moyens de démontrer la Providence par la constitution physique de l’univers et l’existence de Dieu par le système du monde. Newton répondit, et une correspondance fut engagée où les objections de Bentley, tirées tantôt du poème de Lucrèce, tantôt d’une connaissance imparfaite des mathématiques, sont réfutées, La quatrième de ces lettres, où Newton examine une hypothèse de Platon sur la formation des astres, est assurément d’un philosophe sain d’esprit. Enfin vers la même époque il écrivit à Leibnitz une lettre sur les courbes, et Fatio Duillier, qui vint le voir, ne trouva rien en lui d’inusité.

Toutes ces preuves, sir David Brewster les regarde comme convaincantes) et il ne semble pas croire à autre chose qu’à une indisposition légère. Nous ne saurions penser ainsi, et la bienveillance pour un grand esprit ne doit pas être poussée au point d’anéantir la liberté. Ce n’est pas d’ailleurs faire grand tort à Newton. S’il a été quelque temps un peu au-dessous d’un homme ordinaire, la compensation est ample par tant d’années d’une supériorité admirable. Il nous paraît certain, quoi qu’on en dise, qu’entre 1692 et 1694 la santé de Newton a très vivement préoccupé ses amis et les savans, plus que s’il se fût agi d’une fièvre ou d’un mal de gorge. Chacun