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plus fatigué que par un jour de travail continu ; mais aux heures des repas, rien ne l’avertissait, et l’on connaît l’amusante histoire du docteur Stukely. Celui-ci, lassé de l’attendre un jour, mangea le poulet destiné à Newton, qui, voyant plus tard la table desservie, crut avoir déjeuné, et revint dans son laboratoire. S’il sortait de sa chambre pour chercher un objet dont il avait besoin, il ne le rapportait jamais ; s’il descendait de cheval, il oubliait d’y remonter. Un étranger lui demandait comment il avait découvert les lois du système du monde : « En y pensant sans cesse, » répondit-il. Là est le secret des grandes découvertes dans les sciences. Le génie dépend surtout de la durée de l’attention dont un homme est capable. C’est ce que Newton exprimait fort bien en disant : « Je tiens le sujet de ma recherche constamment devant moi, et j’attends que les premières lueurs commencent à s’ouvrir lentement et peu à peu, jusqu’à se changer en une clarté pleine et entière. » On conçoit qu’avec un tel mode de travail et de pareils sujets de méditations, il fût excessivement distrait, et les ana sont remplis du récit de ses distractions et de ses bévues. On ne peut s’en étonner : il n’est guère de grands mathématiciens, d’hommes occupés sérieusement d’études abstraites, qui ne puissent donner lieu à des récits de ce genre. On en a des exemples récens, et tout le monde connaît des anecdotes analogues sur le premier philosophe scientifique de notre âge, M. Ampère.

Tous ceux qui prétendaient à un grade quelconque dans les universités étaient tenus de prêter deux sermens, l’un d’allégeance à l’église anglicane, l’autre d’opposition à l’église romaine. Le roi Jacques II pourtant, l’année même où Newton composait le second et le troisième livres des Principes, malgré la réputation de royalisme des étudians et des professeurs, ordonna à l’université de. Cam bridge de nommer maître-ès-arts le père Alban Francis, bénédictin. Peu de temps auparavant, il avait nommé doyen du collège de l’Église du Christ à Oxford un prêtre catholique, John Massey. C’était violer les lois les plus formelles, les privilèges les mieux fondés. En Angleterre, lois, justice et privilèges tiennent également au cœur des citoyens, et les Stuarts se sont toujours mal trouvés d’y porter atteinte. L’université d’Oxford se souleva tout entière, et John Massey fut renvoyé à Londres. L’insuccès enhardit les souverains qui prétendent à l’absolutisme, et le moine Alban Francis fut choisi pour une tentative nouvelle contre l’université de Cambridge, que l’on espérait trouver plus facile. L’université, présidée par le docteur Pechell, directeur de Magdelen-College, consentit à l’admettre, quoiqu’il fût catholique, s’il prêtait les sermens exigés par les statuts. Le père Francis ne consentit pas à cette sorte d’abjuration, et on lui refusa le droit de voter dans le conseil, d’assister aux délibérations. Quant