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priorité de la découverte. Il prétendit ne l’avoir pas divulguée parce qu’elle faisait partie d’un grand système de la nature qu’il avait imaginé, mais qui n’était pas encore complet. Ses réclamations perpétuelles avaient failli empêcher Newton de publier son ouvrage, et elles furent sans doute une des causes du peu de succès des Principes. Tout ce qui est nouveau et contesté, si peu que ce soit, paraît rarement incontestable et vrai. La persistance même de Hooke donnerait peut-être des doutes sur le véritable inventeur, si la correspondance de Halley et de Newton n’avait été publiée en entier, et si l’on n’y trouvait ce passage judicieux et impartial, écrit par Halley, qui répond à quelques inquiétudes de Newton : « Quant à M. Hooke, avec le caractère jaloux dont il est en fait de science, il n’y a pas de doute que s’il eût été en possession d’une découverte pareille, il ne l’aurait pas tenue plus longtemps secrète… Il prétend à présent que ce n’est la qu’une très petite partie d’un excellent système de la nature qu’il a imaginé, mais qu’il n’a pas eu le temps de rendre tout à fait complet, de sorte qu’il ne juge pas à propos d’en publier une partie détachée du reste ; mais je lui ai déclaré tout ouvertement qu’à moins qu’il ne produise à présent une démonstration différente de la vôtre, et qu’il n’en laisse le public juge, ni moi ni personne ne le croirons sur ce point. » Cette démonstration, Hooke ne put la donner, et s’il a prouvé qu’il avait eu des idées vagues sur l’attraction universelle, on a démontré que bien d’autres les avaient eues avant lui, Borelli, par exemple, peut-être même Pythagore et Plutarque. S’il fallait tenir grand compte de ces aperçus, personne n’aurait la mais rien inventé.

La philosophie de Newton ne fit néanmoins que de lents progrès dans l’esprit de ses contemporains. À sa mort, même en Angleterre, elle était loin d’être professée dans toutes les universités, et les adhérens de cette philosophie étaient rares : il est vrai que parmi eux se trouvaient Halley, Locke et Bentley, ce qui n’était pas un médiocre succès. Aussitôt d’ailleurs après la publication du livre des Principes, Newton fut chargé de devoirs bien différens, et sa vie se divisa en deux moitiés distinctes. Jusqu’alors il n’avait vécu que pour calculer et pour penser, cherchant à se distraire des mathématiques par la chimie, de l’astronomie par la physique. Il vivait seul, perdu dans la méditation de ces grands objets, et sa pensée ne semblait conserver aucun lien avec son corps. Il oubliait les heures et passait des mois entiers sans rapports avec les hommes, ce qui devait par fois faire un singulier professeur. Ni le besoin, ni l’habitude ne le rappelaient à la vie commune. L’heure de son repos était seule in variable, et il a souvent dit lui-même qu’après minuit, il ne pouvait travailler : si dans sa distraction cette heure était dépassée, il était