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vous figurez la terre faite comme un melon ; à Londres, elle est aplatie des deux côtés. La lumière pour un cartésien existe dans l’air ; pour un newtonien, elle vient du soleil en six minutes et demie, Votre chimie fait toutes ces opérations avec des acides, des alcalis et de la matière, subtile : l’attraction domine jusque dans, la chimie anglaise. »

C’est Voltaire, en réalité, qui a fait connaître Newton à la France, quoiqu’il n’ait parlé de lui que plus de trente ans après la publication du livre des Principes. Fontenelle avait exposé l’attraction et la décomposition de la lumière avec une grande réserve et de grands ménagemens pour l’opinion régnante t et les noms des philosophes anglais étaient aussi peu connus dans notre pays que la constitution de l’Angleterre. Si Voltaire n’eût pas été exilé par le régent, s’il n’avait pas été aussi passionné pour la gloire de Newton que pour sa propre renommée, s’il n’avait pas cité sans cesse dans ses ouvrages de tout genre le nom du savant anglais et écrit tout un volume sur sa philosophie, si son exemple n’avait pas monté la tête au brillant et sage Algarotti jusqu’à lui faire écrire l’ouvrage un peu ridicule intitulé Il Newtonianismo per le Dame, si enfin il n’avait pas enhardi la charmante et quelque peu pédante Mme Du Châtelet à composer ses Institutions de physique, le XVIIIe siècle aurait bien pu ignorer ou nier les découvertes de la philosophie anglaise, et les, partisans de Newton pussent été réduits à dire de lui ce que Kepler disait de ses propres travaux : « Le sort en est jeté, j’écris mon livre ; on le lira dans l’âge présent, ou dans la postérité : que m’importe ? Il pourra attendre son lecteur. Dieu n’a-t-il pas attendu six mille ans un contemplateur de sep œuvres ?

La publication du livre des Principes, faite aux frais et par les soins de Halley, n’eut pas, même en Angleterre, un succès universel. Dès la première communication de Newton à la Société royale, Hooke tenta de persuader à ses collègues que c’étaient là des idées qu’il avait exprimées cent fois, et que ce qu’il n’avait pas dit déjà était faux ou tout au moins hypothétique. Newton se vengea, et à peine obtient-on de lui qu’il citât Hooke dans son introduction et dans une des notes de l’ouvrage. Huyghens rejeta la gravité de molécule à molécule et ne l’admit que pour les masses. Leibnitz publia une explication du mouvement des planètes par le moyen d’un fluide éthéré, Mairian, Jean Bernouilli, Cassini, persistèrent longtemps à croire aux tourbillons et à la matière subtile. Hooke, le plus immédiat, sinon le plus important de ses contradicteurs, avait, il est vrai, conçu et agité depuis longtemps dans son esprit confus des idées analogues au nouveau système ; il en avait même parfois entretenu la Société royale, mais sans rien préciser ni démontrer. Pourtant il réclama la