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son panier à salade sur un chapiteau corinthien renversé. Vous pénétrez seul dans un jardin qui est au pied des ruines, et, entre deux carrés de choux, vous gagnez un second escalier qui vous conduit à ce qui formait le soi du palais de Néron ; au-dessous sont de grands arceaux qui, vus d’en bas, semblent très imposans et ne formaient pourtant que les substructions, c’est-à-dire les fondemens, de la demeure impériale. Arrivé là, on est au milieu des ruines, des arbres et des fleurs. C’est un labyrinthe de gigantesques débris se dressant parmi la verdure. À ses pieds, on voit d’humbles toits, demeure de quelque famille, ou des granges à foin qui ont remplacé les somptuosités de la Maison-Dorée. Tels sont les contrastes que présente Borne, dont on a fait souvent des peintures de convention ; mais la Rome réelle est ainsi. L’ancien et le moderne, le sévère et le riant, le majestueux et le misérable s’y rencontrent pêle-mêle. Ce n’est pas une froide tragédie moderne, c’est un drame de Shakspeare.

Ces ruines solitaires sont les ruines d’un palais qui a vu toutes les magnificences, toutes les turpitudes de l’empire, et ces festins d’une recherche bizarre dont Pétrone nous a laissé une si vive caricature dans le festin de Trimalcion. Ce personnage grotesque n’a rien à faire, je l’ai dit, avec Néron ; mais plusieurs détails des débauches somptueuses du riche affranchi ont dû se retrouver dans les orgies impériales. Les salles à manger de Néron dont parle Suétone, et dont les lambris d’ivoire s’ouvraient pour laisser tomber sur les convives des fleurs et des parfums, sont exactement semblables à celles de Trimalcion. Chez celui-ci, « le lambris s’entr’ouvre, et laisse descendre sur les têtes de ses hôtes un vaste cercle qui, se détachant de la coupole, leur offre dans son contour des couronnes dorées et des vases remplis de parfums. » Dans le palais de Néron comme dans la maison de Trimalcion, sa maison dorée à lui, où il pouvait recevoir et loger cent personnes, il se trouvait, nous le savons encore par Suétone, des statues précieuses, des orgues hydrauliques pour accompagner les chants pendant les interminables et prodigieux repas. Les scènes lascives du Satiricon se sont reproduites cent fois dans ces salles dont il ne reste plus que des débris abandonnés. Sur ce Palatin, si gravement mélancolique, on peut évoquer, Pétrone à la main, les folles et honteuses joies des fêtes de Néron.

Il faut comprendre par le nom de Maison-Dorée, non-seulement des bâtimens magnifiques, mais de grands espaces remplis par des jardins, des étangs, des bois, quelque chose d’analogue aux paradis des Orientaux, au sérail de Constantinople, à la résidence des souverains de Delhi. C’est toujours à l’Orient que ramène le despotisme insensé et colossal de Néron. La Maison-Dorée, avec toutes ses dépendances, commençait sur le mont Palatin, qui avait été envahi