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Plaisanterie ou hasard, Vettius disait vrai. Bientôt on apprend que ce n’est pas un nuage pluvieux qui vient du côté d’Ostie, comme il arrive, souvent dans cette saison, mais que l’empereur sait tout et s’approche pour punir. Messaline s’enfuit dans les jardins de Lucullus ; elle n’y reste pas longtemps. Elle prend tout à coup un parti hardi, celui d’aller au-devant de Claude et d’en être vue (aspici) ; elle comptait sur ses charmes. Elle traverse toute la ville à pied, presque seule. Arrivée à la porte de Rome, — le trajet avait été long, Il y a loin de l’Académie de France à la porte Saint-Paul, — trop fatiguée sans doute pour pouvoir marcher encore, elle se jette dans un tombereau qui servait à enlever les immondices des jardins, et s’avance ainsi sur la route d’Ostie. Claude arrivait, suivant la même voie en sens opposé. Ils allaient se rencontrer. Claude était effrayé. L’affranchi Narcisse, qui est l’ennemi de Messaline et qui sent que le moment est décisif, monte dans la litière de l’empereur. Celui-ci, tout troublé, ne s’expliquait point, et répétait comme machinalement ces mots : « O crime ! ô forfait ! » Déjà Messaline était en vue et criait : « Qu’il écoute la mère d’Octavie et de Britannicus ! » L’affranchi répondait : « Silius, mariage. » En même temps il met sous les yeux de Claude un mémoire dénonciateur des débauches de Messaline, afin d’empêcher l’empereur de la regarder. Au moment d’entrer dans Rome, Claude trouve à la porte de la ville ses deux enfans et une vestale qui demande impérieusement que l’empereur ne livre pas sa femme à la mort sans qu’elle se soit défendue. Narcisse répond que l’empereur l’entendra, fait écarter les enfans, et renvoie la vestale à son temple. Il mène d’abord Claude au palais, ou tout ce qu’il voit l’irrite, puis au camp des prétoriens, déjà prévenus et qui demandent la punition des coupables. Ils étaient fort nombreux ; on en condamna une douzaine. Pendant la route, Claude, qui craignait que Silius ne saisît l’empire, se demandait s’il était encore empereur.

Retournons une dernière fois aux jardins de Lucullus, où Messaline s’est réfugiée, et laissons parler Tacite.

« Pendant ce temps, Messaline, dans les jardins de Lucullus, veut prolonger sa vie ; elle forme des suppliques avec un reste d’espoir et des accès de colère, tant dans ces extrémités l’orgueil vivait encore. Et si Narcisse n’eût hâté le meurtre, c’est l’accusateur qui était perdu, car Claude était rentré au palais, s’était mis à table à son heure. Calmé par le repas, échauffé parle vin, il ordonne qu’on aille dire à cette malheureuse (ce fut, dit-on, le terme dont il se servit) qu’elle eût à comparaître le lendemain pour plaider sa cause. En entendant cela, en voyant la colère s’affaiblir et revenir l’amour, on craignit, si l’on différait, le danger de la nuit prochaine, et que