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Louis XVIII, qui ne manquait pas d’esprit, ressemblait par ce côté prosaïque à son grand aïeul, et Frédéric II est mort pour n’avoir pas, voulu s’abstenir de choux et de pâté. Je n’ai garde de comparer Claude à ces princes, et je crois qu’on ne trouverait dans la vie d’aucun d’eux un trait pareil à celui que je vais rapporter et qui m’appartient, car ce fait se passa dans un lieu historique dont j’ai parlé, le forum d’Auguste, et dans le temple de Mars Vengeur, dont il reste trois magnifiques colonnes, auxquelles il est dur d’avoir à rattacher une anecdote aussi vulgaire. Un jour que Claude jugeait une cause dans le forum d’Auguste, son odorat fut frappé par le fumet d’un festin que l’on préparait pour les prêtres saliens, près de là, dans le temple de Mars. Abandonnant son tribunal, il monta chez ces prêtres et se mit à table avec eux.

Passe pour la gourmandise, dira-t-on, mais ses niaises réponses, ses ignorances de mari au sujet de Messaline, ses goûts cruels, cette réputation d’hébétement qui lui est restée, comment les concilier avec de grandes œuvres d’utilité publique, avec l’humanité du législateur qui, le premier, songea à protéger la vie des esclaves, avec la science de cet empereur qui passe pour un idiot, avec l’expression intelligente de sa physionomie grave et pensive ? Quoi ! le même homme, bon et cruel, intelligent et insensé, beau et mal tourné, dont la parole est éloquente et embarrassée : Il y a là un problème curieux à résoudre, et qui ne peut l’être qu’en tenant compte des particularités de l’organisation de Claude et des circonstances au milieu desquelles il a vécu.

Claude avait certainement reçu de la nature une enveloppe épaisse, et dans toutes ses allures quelque chose de gauche et de lourd que « durent faire ressortir à son désavantage les qualités aimables et brillantes de son frère Germanicus. Il fut de bonne heure en butte aux sarcasmes de son aïeule Livie et de sa mère Antonia ; il était, qu’on me passe cette expression, le Cendrillon de la famille. On lui avait donné pour pédagogue un ancien palefrenier. Tibère, qui fut soupçonné de se débarrasser parfois de ses héritiers par le meurtre, voulut rendre celui-ci incapable de nuire en achevant de le rendre incapable de régner, et pour le dégrader, il le livra aux insultes de ses bouffons, qui, pendant le repas, lui jetaient à la figure des noyaux d’olives et de dattes, ou bien, quand il s’endormait suivant sa coutume, lui mettaient ses souliers aux mains pour qu’à son réveil il s’en frottât le visage. Comme ces frères de sultan qui ne doivent pas régner, il passa une jeunesse oisive dans le palais, entouré de femmes et d’affranchis, au sein de voluptés faciles auxquelles il fut toujours très enclin. Il faut reconnaître cependant que, seul dans la famille de César, il mérita l’éloge d’être étranger à certains vices ;