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tous les moyens de remédier à la famine. Il proposa des primes pour les importateurs, les assura contre les accidens de mer, fit de grands avantages à ceux qui construiraient des bâtimens de transport, et enfin construisit le port d’Ostie. Il creusa un vaste bassin protégé par deux jetées, créa une digue, et y plaça un phare que Juvénal comparait à celui d’Alexandrie.

Voilà une œuvre importante, et que Claude eut réellement le mérite de concevoir et le courage d’exécuter. L’autre, qui lui appartient également, c’est l’émissaire du lac Fucin, dans le pays des Marses. Claude l’entreprit, suivant Suétone, déterminé par le profit autant que par la gloire, des particuliers s’étant chargés des frais, s’ils obtenaient la concession des terrains desséchés. Il l’avait un double avantage à déverser dans le Tibre le trop plein des eaux du lac ; par là, on donnait à l’agriculture un sol nouveau, et l’on rendait plus facile la navigation du fleuve. Les œuvres de Claude avaient un mérite d’utilité réelle, tandis que celles de Caligula et de Néron étaient des prodiges stériles. L’empereur montra ici, comme dans la création du port d’Ostie, une persévérance et une ténacité remarquables ; trente mille hommes travaillèrent continuellement, pendant onze ans, à percer un tunnel d’une lieue à travers une montagne où il fallut tour à tour creuser le sol et tailler le roc ; mais on ne le fit pas sauter, comme par une incroyable distraction le dit La Harpe dans sa traduction de Suétone, où l’on trouve d’assez singuliers contre-sens, et dans laquelle le grand champion de l’antiquité se montre très médiocre latiniste ; L’affranchi Narcisse avait été chargé de la direction des travaux ; on l’accusa d’y avoir fait ses affaires. Peut-être lui revient-il une part dans l’honneur de l’entreprise ; mais Claude l’avait pris un intérêt véritable, et il voulut en célébrer l’achèvement par un combat naval donné sur le lac avant qu’on eût ouvert une issue à ses eaux. Deux flottes, chacune composée de douze galères à trois rangs de rames, se rencontrèrent au bruit de la trompette d’un triton d’argent, qu’une machine avait fait sortir du milieu du lac.

La création du port d’Ostie et l’émissaire du lac Fucin attestent une énergie de volonté singulière chez un homme dont le caractère eut des faiblesses si déplorables. C’est que Claude était un composé de contrastes. Il eut des instincts d’humanité et des goûts barbares. Il acheva d’abolir les sacrifices humains en Gaule. Quelques Romains ayant, pour se dispenser de les soigner, exposé leurs esclaves malades dans l’île Tibérine, où était un temple d’Esculape dont il reste aujourd’hui quelques vestiges près de l’église de Saint-Barthélémy, Claude déclara que tous ceux qui seraient exposés ainsi, s’ils guérissaient, recevraient la liberté, et que le maître qui tuerait