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pour la condition humaine, que cette facilité avec laquelle les multitudes se passionnent pour un prince qui n’a point encore fait de mal. Il faut qu’elles soient habituellement bien malheureuses pour croire avec tant d’empressement aux espérances d’un règne nouveau.

Claude n’a guère laissé d’autre réputation que celle d’un mari imbécile. Il fut sans doute un mari très trompé et très aveugle, guère plus cependant que Marc-Aurèle ; mais, sans pouvoir être comparé à cet admirable empereur, il mérite quelques éloges. L’histoire de Rome par les monumens lui est favorable. Le plus grand et le mieux conservé des aqueducs romains, celui qui est formé par cette longue ligne d’arceaux allant de la Porte-Majeure vers les montagnes et con court avec elles à composer la sublimité de la campagne romaine, cet aqueduc fut construit par Claude. Là, son souvenir n’a rien de ridicule ; il est lié avec l’impression du plus majestueux spectacle qui puisse s’offrir aux yeux humains. Frontin appelle les arcs de l’aqueduc de Claude très élevés ; en certains endroits, ils ont plus de cent pieds. Ce n’est pas encore la hauteur des arcs qui devaient former le premier étage des aqueducs, œuvre admirable de Vauban, qui traversent le parc de Maintenon[1]. Les Romains n’ont point élevé d’aqueducs qui aient approché de ce qu’aurait été l’aqueduc de Maintenon si on l’eût terminé, ou qui même en égalent les restes. Quant à la longueur de l’aqueduc de Claude, l’inscription qu’on lit encore au-dessus de la Porte-Majeure nous apprend que des cours d’eau amenés par lui à Rome, l’un avait 45 milles (15 lieues), l’autre 62 milles (plus de 20 lieues), de parcours.

Claude eut, après Sylla et Auguste, l’honneur d’agrandir l’enceinte sacrée de la ville de Rome, ce qu’on appelait le Pomœrium. Pour reculer les limites du Pomœrium, il fallait avoir augmenté l’étendue de la domination romaine. Malgré son expédition en Bretagne, plus sérieuse toutefois que celle de Caligula, qui s’était borné à aller ramasser, pour les rapporter en triomphe, des coquilles sur le bord de l’Océan, Claude n’avait pas beaucoup de droit à agrandir le Pomaerium romain. En général, l’empire ne fut pas conquérant et ne devait pas l’être, car sa grandeur était un de ses périls. Adrien devait prendre le parti peut-être sage, mais bien nouveau, de resserrer les bornes de la domination romaine, de faire reculer le dieu Terme, qui, toujours porté en avant par les légions de Rome libre et ne rétrogradant jamais, s’était avancé irrésistiblement à la conquête du monde. Le mouvement de contraction avait succédé au mouvement

  1. Puisque ce nom revient sous ma plume, je suis bien aise de dire que je n’ai pu le prononcer avec celui de Livie qu’à l’occasion de Saint-Cyr et de la conviction où je suis que Mme de Maintenon a moins dirigé Louis XIV qu’on ne le croit communément.