Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la grâce nuageuse de la gaze, la gaieté immortelle du rose, s’unissaient dans sa toilette. Quant à sa personne, c’était l’incarnation d’un désir, le rêve vivant d’une âme voluptueuse. Claresford s’avança vers elle sans lui dire un mot et la fit asseoir à ses côtés sur le divan. Ce soir-là Olympia fut oubliée, une vie nouvelle semblait commencer pour Claresford. Pourquoi cependant cette vie dura-t-elle si peu ? C’est ce qu’il me reste à dire.


IV

Quand une heure, une seule heure, on a porté à ses lèvres la divine coupe que le roi de Thulé jeta dans la mer, quand on a bu dans ce vase consacré par la pression d’une seule bouche le philtre de l’unique amour, Hébé elle-même viendrait vous offrir l’ambroisie qui recelait l’ivresse des dieux, que bientôt vous la repousseriez avec tristesse. Après avoir essayé pendant quelques jours de toutes les joies tumultueuses des sens, Claresford sentit qu’il n’avait pas échappé à l’hôte silencieux de son cœur : il appartenait plus que jamais à la marquise Olympia. Aïsha Rosa, je dois l’avouer, n’offrait que des ressources très limitées : elle ne pouvait rien donner à l’intelligence de Hugues, si ce n’est ce plaisir solitaire auquel se livrent parfois quelques esprits, d’enter une création humaine sur une œuvre divine, d’animer un être vivant de l’existence qu’ils jetteraient sur une toile ou dans un marbre. Un semblable plaisir tient du travail et lasse vite. En peu de temps, Claresford connut et épuisa toutes les émotions d’esprit qu’il pouvait tirer d’Aïsha Rosa.

Un jour elle l’avait fait rêver et sourire en lui disant naïvement qu’elle croyait aux goules, que sa nourrice allait toutes les nuits au cimetière, et le lendemain apportait aux repas un visage pâle sur lequel chaque mets faisait passer une expression de dégoût. Cette superstition orientale, échappée à l’action d’un séjour en France, avait une sorte de parfum littéraire que Claresford savoura. Ce parfum s’évanouit bien vite, et Hugues trouva de nouveau d’insupportables longueurs dans le tête-à-tête avec sa Turque. Eh bien ! voyez l’étrange chose ! je vous dis cela pour ne rien vous cacher ; mais le sentiment d’ennui que notre homme éprouvait si souvent près de l’habitante du Bosphore n’était pas ce qui le jetait avec le plus de force aux pieds de l’image victorieuse d’Olympia. Non. Savez-vous à quel moment il sentait le besoin de rester le plus longtemps agenouillé devant cette invisible effigie, avec toute la passion mystique d’une recluse à demi morte sur son prie-Dieu ? C’était précisément aux heures où Aïsha venait de lui ouvrir les seuls trésors dont elle avait la clé. Engagé dans l’ivresse des plaisirs profanes, il n’en songeait qu’avec plus de force à ses amours sacrées. Dieu en a fait ainsi