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— Seulement, reprit l’homme politique, à mon grand regret, je ne puis emmener ma fille. Je laisse Aïsha, ce qui, j’imagine, ne nous empêchera point de traiter.

Le soir, en regagnant son logis avec Strezza, Claresford disait : — J’ai acquis une Turque pour un mois au prix d’une année environ de mes revenus. Je n’ai certes point de remords pécuniaires, car l’avarice, comme dit un poète, n’a jamais appuyé ses lèvres livides sur mon cœur ; seulement, à présent que je ne suis plus auprès de la femme qui m’a tout à coup fait penser, sentir et agir en vrai personnage des Mille et Une Nuits, j’ai comme un peu d’humiliation et beaucoup de tristesse. En suis-je donc déjà à cet amour qui, pour attendrir les belles, répand une pluie d’or au lieu de larmes ? Puis, en certaines matières, j’ai encore une jeunesse singulière : je n’aime pas mettre tout à fait mon âme de côté.

— Ma foi, repartit Strezza, votre âme est bien maussade et mal avisée, si elle s’imagine bouder près de la femme dont vous serez le seigneur demain.

— Puis,… reprit encore lord Claresford, et il n’acheva pas.


III

Mais c’est ici que commence tout le délicat et l’intéressant de mon récit. Claresford pensa à une femme que je nommerai la marquise Olympia.

— Le sot nom, me dites-vous, madame, et pourquoi ?

— Parce qu’il est horriblement prétentieux.

— Peu importe ; il rend parfaitement ma pensée.

— Et puis la pauvre créature ne le mérite pas.

— Vous êtes donc sûre déjà de la connaître ? en bien ! je vous jure de ne pas la maltraiter, bien loin de là. De grâce, du reste, écoutez. On jurerait qu’Olympia est Espagnole, et pourtant elle est française, car la France a le privilège de reproduire, dans ce qu’ils ont de plus puissant et de plus marqué, les types de tous les pays. Olympia a donc le teint d’une descendante des Abencerages. Elle a l’air d’être née de quelque infidélité du Cid à Chimène. Sa frêle et svelte personne est supportée par deux de ces petits pieds ardens et fiers qui en disent plus sur une nature de femme que toutes les paroles du monde. Ses traits sont fins et arrêtés, par momens sa bouche mince devient d’un rouge impérial ; ses yeux ont toute sorte de pro fondeurs, tantôt effrayantes, tantôt engageantes ; sombres comme la nuit, ils en ont l’effroi et le charme ; son sourire est de ceux qui permettent à saint Pierre de perdre ses clés : il ouvre le ciel à volonté. Voilà pour sa figure, madame. Quant à son être invisible… — Dieu seul le connaît, dites-vous… — Je crois aussi le connaître un