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avait laissé celui-ci tellement à l’improviste, qu’aucune de ses volontés probables ne put être accomplie. Aïsha, qui avait alors onze ans, âge où les femmes orientales sont déjà fruits dorés par les plus beaux rayons de la jeunesse, Aïsha, dis-je, fut obligée de retourner auprès de son père, et ma foi, je l’avouerai tout de suite, Turque à peu près comme devant. Elle avait reçu le nom de Rosa, c’est vrai, le jour où un académicien célèbre, qui lui avait servi de parrain, avait renoncé pour elle à Satan, à ses pompes et à ses œuvres ; on lui avait ensuite appris un peu de français. À cela se bornaient tous les changemens qui s’étaient opérés en elle. Le ciel l’avait faite par excellence femme du sérail. Ces deux sœurs si étroitement unies entre elles, la paresse et la volupté, semblaient guider chacun de ses pas, s’asseoir à ses pieds quand elle se reposait, la bercer quand elle dormait. Ce qu’elle savait de français lui servait à exprimer un petit nombre d’idées primitives, unique et faible parfum de cette rose ; seulement, grâce à ce peu de mots d’une langue universelle, cette fleur d’Orient avait acquis encore un nouveau prix. C’est ce que sentit Osman, qui se promit de réserver comme ressource suprême, pour quelque grande circonstance, les charmés et l’éducation de sa fille.

Depuis quelques jours, cette circonstance s’était présentée. Le pacha, pour redevenir un homme élevé en dignité, avait besoin d’une somme considérable promise à un haut personnage d’Égypte. C’est la ce que Strezza savait peut-être, mais ce qu’ignorait Claresford. Tout en causant avec Aïsha, il l’avait donc trouvée adorable ; ce qu’elle lui disait, ou plutôt ce qu’elle ne lui disait pas ne détruisait aucune de ses illusions. Elle avait de ces sourires qui semblent tout comprendre, et de ces regards, semblables aux dessins capricieux du foyer, où l’on voit tout ce que l’on veut. Les paroles assez vagues qui de temps en temps s’échappaient de ses jolies lèvres étaient harmonieuses et comme imprégnées de sa beauté. Claresford sentait peu à peu l’ivresse le gagner. Quand il la quitta, était-il amoureux ? Non, certes ; mais l’enchantement agissait, et il se promenait d’un pas rêveur dans des jardins invisibles.

Le vieil Osman, en vrai fumeur d’hachich, s’aperçut de cet état, et vint s’installer auprès de lui. La conversation s’engagea entre les deux voisins, car je vous ai dit que les demeures de Hugues et du pacha se touchaient.

— Vous avez un merveilleux palais, dit le marquis au pacha.

— Un voyage en Égypte me force à le quitter pour un mois, répondit le Turc ; si vous le voulez, je vous le laisserai pendant ce temps-là pour…

La somme était si énorme, que Claresford attacha un regard étonné sur son interlocuteur, qui souriait d’un air fin.