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me dit être une table de multiplication. Près de l’atelier des jeunes détenus se trouvent les bâtimens de la prison consacrés aux femmes, où jamais homme ne pénètre qu’en présence du directeur. Vêtues de robes sombres et accroupies sur deux rangs au milieu de la cour, les détenues défilent en silence sous le regard sévère d’une femme d’un aspect vraiment imposant, et qui exerce parmi elles une autorité toute despotique. La majorité des détenues est condamnée, m’assure-t-on, pour crime d’infanticide.

Les détenus prennent leurs repas en commun dans une salle à manger à ciel ouvert, d’un aspect trop pittoresque pour que je n’en dise pas quelques mots. Dans la cour attenante à chaque atelier, des cases de deux pieds carrés, séparées entre elles par des relèvemens de deux ou trois pouces, sont disposées en échiquier sur le sol. À l’heure du repas, le détenu vient s’accroupir dans la case qui lui a été assignée, et reçoit la sa ration, que des cuisiniers ont fait bouillir à des fourneaux placés sous des arcades peu distantes.[1].

Ce n’est pas toutefois sans difficultés que l’on est parvenu à établir le système de la nourriture prise en commun dans les geôles du pays, et cette réforme, lorsqu’elle fut mise pour la première fois en pratique, prit les proportions d’une question politique de la plus haute importance. Autrefois le gouvernement allouait à chaque prisonnier une somme de 1 ana (0 f. 137) par jour, sans se préoccuper autrement des détails de sa nourriture et de l’emploi de son temps. Lorsque l’exemple de la métropole conduisit le gouvernement de l’Inde à s’enquérir de l’organisation intérieure de ses établissemens pénitentiaires, et que l’on voulut soumettre les détenus à un travail régulier, l’on ne tarda pas à découvrir les inconvéniens d’un système d’alimentation destructeur de toute discipline, qui non-seulement permettait à certains détenus de faire des économies, mais encore leur assurait à tous la distraction, si agréable à l’homme de l’Inde, de préparer son repas de ses mains. Acheter lui-même ses alimens, édifier avec mille précautions son petit feu, surveiller d’un œil amoureux les péripéties de la cuisson de son riz ou de son gruau, voilà quels soins remplissaient, à sa plus grande satisfaction, la journée du prisonnier, dont l’existence, comme celle du bouffon de l’opéra italien, se résumait à manger, boire et puis dormir ! Les premières réformes opérées dans les établissemens pénitentiaires de la compagnie

  1. Le personnel administratif de la geôle d’Agra se compose de 14 officiers, 4 geôliers, 114 gardiens et 214 soldats. Quant au nombre des prisonniers, il s’élevait à 2,168, que l’on classait ainsi : 97 thuys, 342 dacoïts, 166 voleurs de grand chemin, 92 condamnés pour violence, 622 assassins, 532 voleurs ; le reste avait été condamné pour contrebande, parjure, viol, enlèvement d’enfans, etc. Dans ce total, 442 hommes et 83 femmes étaient frappés d’emprisonnement à vie.