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bilement la dissimulation de son fils avec l’adresse de son époux. » Livie a quelques traits de Mme de Maintenon, Si celle-ci fonda Saint-Cyr, celle-là s’occupait des jeunes filles pauvres et les mariait. Toutes deux maintinrent leur ascendant, moins, je crois, par l’empire du conseil que par la docilité de l’approbation; je ne les compare point cependant. La complaisance de Mme de Maintenon n’allait pas jusqu’aux maîtresses, et elle n’a jamais été accusée d’avoir empoisonné Louis XIV.

Ce qui fit croire à ce crime de Livie, c’est que, peu de temps avant de mourir, Auguste était allé voir son petit-fils Agrippa dans l’île où il était relégué et avait pleuré avec lui. Livie, déjà soupçonnée d’avoir fait périr Marcellus, avait-elle voulu prévenir les suites d’un raccommodement qui pouvait être funeste aux intérêts de Tibère? Il est vrai qu’elle avait dédié à Auguste vivant un temple de la Concorde, et qu’elle en éleva un à Auguste mort; mais Agrippine en fit autant pour Claude, qu’elle avait empoisonné avec des champignons après qu’il eut témoigné pour Britannicus un retour de tendresse dont s’alarma la mère de Néron. Le monument élevé par Livie n’est donc pas une justification suffisante du crime qui lui fut imputé; l’ambition maternelle dans un cœur comme le sien était capable de tout. Du reste elle fut punie par le fils, qui lui ressemblait, qu’elle ne put parvenir à gouverner comme elle l’espérait, et qui, si le meurtre eut lieu, en profita sans l’en récompenser. On voit à Rome plusieurs statues qui passent pour être celles de Livie. C’est une beauté froide, un visage sans expression, une physionomie composée et tranquille; dans une statue qui est à Saint-Jean-de-Latran, elle a, pour me servir d’une expression vulgaire, l’air de ne pas y toucher. D’ailleurs nulle apparence de fausseté : le chef-d’œuvre de la dissimulation est de savoir se dissimuler. On a cru reconnaître Livie dans cette belle statue si sévèrement et si gracieusement drapée qu’on appelle la Pudicité. Malgré sa vie sans scandale depuis qu’elle fut la femme d’Auguste, celle qui l’avait épousé enceinte du fait d’un premier époux ne méritait point de personnifier cette vertu; de plus la tête est moderne.

Rome ne possédait pas un portrait de Julie : M. Visconti vient de découvrir à Ostie un buste dans lequel il reconnaît cette fille d’Auguste, fameuse par ses débordemens, que l’empereur lui-même fut accusé d’avoir partagés. Auguste, qui la punit si rigoureusement et montra contre elle une colère où il entrait peut-être autre chose que le courroux paternel, Auguste fit probablement disparaître ses images, ce qui en explique la rareté ; mais il est à Rome un lieu qui rappelle les désordres de Julie et où il ne semblerait pas qu’on dût aller les chercher : c’est l’emplacement connu de la tribune aux harangues, dans laquelle elle se plaisait à braver les lois qui y avaient été prononcées contre l’adultère.