Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bowhanee, et lui demande de révéler par quelque signe certain qu’elle accepte le nouveau-venu et lui accorde sa protection. Le pré sage est attendu en silence, et lorsque la déesse a manifesté sa volonté par l’aboiement d’un chacal, le braiement d’un âne, le vol d’un canard, ou toute autre manifestation aussi irréfutable, la bande rentre dans la maison. Là on met l’axe de fer, symbole de l’association, entre les mains du récipiendaire, qui répète un serment solennel et terrible que le gooroo a prononcé avant lui. Il reçoit ensuite des mains du prêtre un morceau de sucre consacré par des prières, et les cérémonies de l’initiation sont achevées ; le nouveau-venu appartient désormais à l’association des thugs, et sa vie est vouée au service de la sanguinaire Bowhanee. Le soin de se rendre favorable leur farouche protectrice est l’une des principales occupations de la vie des thugs.

Au moment d’entrer en campagne, le premier acte des thugs réunis est de rendre hommage a la déesse, qui prend soin elle-même d’indiquer par des présages la route qui doit être suivie. Chaque meurtre est accompagné de cérémonies en l’honneur de la divinité tutélaire, et la part de butin de la déesse est religieusement donnée aux prêtres ou chams initiés aux mystères du culte, mystères interdits aux autres thugs, qui se divisent en bouthotes, entre les mains desquels le fatal mouchoir devient une arme de mort, lughas ou fossoyeurs, experts dans l’art de creuser des tombes invisibles, et en soothas, qui jouent le rôle le plus important dans cette communauté mystérieuse et terrible. Le procédé des thugs est uniforme : jamais ils n’emploient la violence ouverte ; tout meurtre commis par eux est préparé de longue main ; la ruse, l’hypocrisie, ainsi que l’indique leur nom, dérivé du verbe indoustani thugna, qui signifie tromper, sont les armes les plus dangereuses des thugs. Malheur au voyageur qui prête l’oreille sur la route aux avances, aux paroles mielleuses des soothas ! A un endroit désert témoin de bien des meurtres, lors que la nuit est noire, au milieu d’une conversation amicale et de chants joyeux, le signal est donné… Bientôt les victimes sont empilées faces contre pieds dans une fosse préparée à l’avance ; on leur ouvre le ventre à coups d’épieux pour prévenir tout gonflement de terre révélateur, les lughas recouvrent la fosse de sable, et la bande va se réunir à un endroit peu éloigné pour rendre à Bowhanee les actions de grâces accoutumées.

Les conditions politiques dans lesquelles s’est trouvé depuis des siècles le continent indien, fractionné en petits états indépendans et rivaux, les habitudes surtout des populations natives ont puissamment contribué au développement et aux déprédations des thugs. Les grandes routes, les entreprises de transport public sont d’origine toute récente dans l’Inde ; encore aujourd’hui les voies de communication