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presque où il ait osé défier ouvertement les préjugés et les coutumes de ses sujets indiens. La loi qui défend le suicide des veuves et punit comme complice d’un meurtre quiconque a, par ses actes ou ses conseils, contribué au sacrifice homicide, a été couronnée d’un plein succès. Si quelques suttees s’accomplissent encore aujourd’hui, ces sacrifices sont excessivement rares, et l’on peut regarder cette pratique inhumaine comme complètement extirpée des mœurs de la race indienne.

Avec l’association des thugs, le gouvernement anglais n’a pas eu à prendre des mesures moins énergiques que vis-à-vis des veuves indiennes qui s’imposaient le suttee, et il n’a guère été moins heureux. L’origine des thugs, l’association de malfaiteurs la plus puissante, la plus fortement organisée qu’il ait jamais été donné à un gouvernement de combattre et de détruire, remonte à la plus haute antiquité, et ils l’expliquent eux-mêmes par des légendes mythologiques que l’on peut résumer ainsi. Aux premiers jours du monde, le principe du mal, la déesse Kali ou Bowhanee, pour soutenir la lutte avec le principe créateur, institua l’ordre des thugs, auxquels elle révéla l’art de la strangulation. Ses bontés ne s’arrêtèrent pas là, et elle continua de donner à ses sectaires des preuves incessantes de protection en faisant disparaître les traces de leurs crimes ; mais un jour des thugs, succombant à une ardente curiosité, épièrent les mouvemens de la déesse, qu’ils surprirent sur terre au moment où elle faisait disparaître les cadavres de leurs victimes. Cette indiscrétion reçut son châtiment. Depuis ce jour, les thugs ont dû enfouir eux-mêmes dans les entrailles de la terre les preuves matérielles de leurs forfaits, sans que toutefois la déesse Kali, retirant à l’ordre entier son patronage, ait cessé de veiller au succès de ses entreprises. Cette tradition, admise sans controverse parmi les thugs, tend à prouver que si l’élément mahométan est entré dans l’association, il y est entré bien après la fondation de cet ordre d’assassins, qui se rattache aux temps héroïques de l’histoire de l’Inde. Les pratiques superstitieuses dont les thugs environnent tous les actes de leur sanguinaire métier ont le plus grand rapport avec les puériles cérémonies de la religion des brahmes. S’agit-il d’admettre un nouveau-venu parmi les sectaires de Bowhanee ? Après avoir accompli la cérémonie du bain, le récipiendaire, vêtu d’habits neufs, est présenté aux membres de la secte réunis dans une chambre. On passe ensuite de la chambre de réunion à un endroit consacré peu distant. Là, à la face du ciel, le gooroo, le chef spirituel de la bande, invoque la déesse