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Les femmes s’attribuent de plus une grande part dans la direction des affaires publiques de la tribu ; elles accompagnent à la guerre leurs frères, leurs maris, pour stimuler leur courage, et président aux négociations de paix entre tribus ennemies. Ces avantages sont tristement compensés, et les documens officiels s’accordent à constater l’effrayante destruction des enfans du sexe féminin qui s’opère parmi ces populations. Dans certains villages de cent familles qu’inspectèrent minutieusement des officiers chargés de recueillir des documens statistiques, il ne se trouvait pas une seule fille en bas âge !

Déjà le gouvernement de l’Inde avait rencontré sur sa route cette coutume sanglante. En 179A, sir John Shore découvrit le premier qu’elle était répandue dans les parties du district de Benarès qui avoisinent le royaume d’Oude. Quelques années après, des indices certains révélaient l’existence de cette pratique homicide à l’autre extrémité du domaine indien, parmi les populations qui habitent les provinces de Kuttiawar et de Kutch, limitrophes de la présidence de Bombay. Peu à peu, comme des rapports plus fréquens avec les populations donnaient à l’autorité anglaise des renseignemens plus exacts sur les mœurs indigènes, on ne put se refuser à la triste conviction que l’infanticide était passé dans les mœurs des Rajpoots, et que cette lèpre sociale s’étendait sur toute la surface de l’Inde centrale. Ici, à vrai dire, les populations n’ont pas même l’excuse d’une superstition aveugle et barbare. La loi religieuse des Rajpoots proscrit particulièrement le meurtre des femmes, et, suivant les shastras, autant d’années d’enfer qu’il y avait de cheveux sur la personne de la victime sont réservées au meurtrier. C’est dans un autre ordre d’idées qu’il faut aller chercher des motifs assez puissans pour étouffer dans la poitrine de l’homme et de la femme les sentimens de la nature, qui parlent d’une voix puissante et écoutée même à la bête fauve. Chez les fiers Rajpoots, l’orgueil de la naissance revêt des proportions de fanatisme qui dépassent de cent coudées les prétentions et les préjugés de l’hidalgo de Castille le plus entiché du sang bleu qui coule dans ses veines. Cependant, quoique toutes les tribus ramènent modestement et Uniformément leur généalogie jusqu’au Soleil et à la Lune, toutes ne sont pas d’une égale noblesse. Or une fille qui contracte une mésalliance ou une fille non mariée déshonore également la famille et la tribu à laquelle elle appartient. De plus, l’usage traditionnel du pays impose aux parens l’obligation de dépenser à l’époque du mariage de leurs filles des sommes considérables, soit en fêtes publiques et en présens aux époux, soit en cadeaux aux charans, sorte de prêtres troubadours qui à des attributions religieuses joignent celle de célébrer dans des chants l’épopée généalogique de la famille rajpoot. Une légende