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des phrases qui ne sont pas françaises, des amplifications où tout manque, pensée et style. Dans l’exécution comme dans la conception, le défaut général de M. de Balzac, c’est l’intempérance de l’imagination. Son talent est violent, fougueux, excessif, et, si on peut le dire, d’un tempérament sanguin. À l’œuvre, le sang lui monte à la tête, et alors il ne connaît plus de bornes.

S’agit-il d’une description, d’un intérieur, d’un paysage ? Peu de coloristes sont aussi puissans, nul n’a un sentiment plus vif de la réalité et n’en fait plus fortement revivre tous les détails ; mais combien n’a-t-il pas abusé de ces dons divins ! À quel excès n’a-t-il pas poussé la description ! Ce ne sont plus des descriptions, ce sont des inventaires qu’il nous donne souvent ; ce n’est plus œuvre de peintre, c’est œuvre de commissaire-priseur. On tombe dans la puérilité et les infiniment petits ; il ne nous est pas fait grâce d’un fauteuil ou d’un panneau de tapisserie, d’un cul-de-lampe ou d’une astragale.

Est-ce un portrait qu’il doit faire ? Mêmes qualités et mêmes défauts. Finesse et vigueur, coloris vrai, relief saisissant, voilà par où il est souvent admirable ; mais la aussi l’abus est tout voisin du bien, et sous ce rapport le mal a été sans cesse croissant. On trouve dans les bons romans de M, de Balzac, je parle des premières Scènes de la vie privée, des portraits brillans, énergiques, tracés en quelques coups de pinceau, et qui rendent tout ce qu’il faut rendre. Ainsi, pour en citer un exemple, dans Eugénie Grandet il nous donne en une page la figure en pied du père Grandet : le portrait est de main de maître, il est vivant et achevé. Quelques années plus tard, dans la Recherche de l’Absolu, il lui faudra pour un portrait cinq ou six pages. Allez jusqu’à Béatrix ; le portrait de Mlle des Touches comporte onze pages à lui seul, tout un chapitre, et plus de cent pages du premier volume sont remplies par la description de la ville de Guérande, de la maison du Guénic, et par les portraits du baron, de sa femme, de sa sœur, de leurs domestiques et de leurs amis, sans parler des aïeux et des collatéraux esquissés en passant. N’est-ce pas la le dernier terme de l’excès ?

En même temps qu’il se laissait aller à une prolixité sans bornes, M. de Balzac tombait de plus en plus dans la vulgarité. En multipliant à l’infini les détails, il était amené forcément à ne plus choisir, à accuser les plus grossiers et les plus repoussans comme à relever les plus infimes et les plus puérils, Copier servilement la réalité, reproduire avec scrupule jusqu’à ses petitesses et ses platitudes, il semble que vers la fin ce fut la toute sa théorie de l’art. On en rapporte un exemple singulier et significatif : M. de Balzac tenait à ne donner à ses personnages fictifs que des noms qui eussent appartenu à des personnages réels, s’imaginant apparemment imprimer parla à ses œuvres un cachet plus profond de réalité ; bien plus, il