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romancier : il suffit de rappeler Mlle Gamard des Célibataires, Sylvie Rogron de Pierrette ; mais ouvrez le livre qui porte le titre même de la Vieille Fille. Sans parler des gravelures qui y sont semées, et à ne juger qu’au point de vue de l’art, ne tombe-t-il pas dans la caricature ? Ne se croirait-on pas parfois, n’étaient quelques pages d’esprit et de verve, égaré dans un roman de M. Paul de Kock ? Et la cousine Bette des Parens pauvres n’atteint-elle pas, dans le genre sombre, à des proportions qui sont hors nature ? Simple, rude, mais non pas méchante au commencement, elle s’élève peu à peu jusqu’à un idéal de machiavélisme et de perversité infernale.

De tous les types qu’a peints M. de Balzac, celui qu’il a le moins réussi, chose singulière, c’est celui qui d’ordinaire sourit le plus à l’imagination et inspire le mieux les romanciers : c’est le caractère de la jeune fille. On citerait sans doute, dans plusieurs de ses romans, et sans parler d’Eugénie Grandet, des figures épisodiques de ce genre où il a répandu un véritable charme. Encore dans ceux-là même, dans Marie Claës par exemple, l’excès de la force va-t-il quelquefois jusqu’au faux. Quand il a voulu peindre des figures de jeune fille en grand et les mettre sur le premier plan, il a échoué. Voyez plutôt Modeste Mignon. Elle a de l’esprit, Mlle Modeste ; mais a-t-elle l’esprit, a-t-elle surtout le cœur d’une jeune fille ? N’est-ce pas plutôt l’esprit du romancier qui s’étale et cherche à briller dans cette froide et prétentieuse correspondance d’une jeune fille et d’un poète qu’elle aime sans l’avoir jamais vu ? Et fut-il jamais un roman auquel on pût plus justement appliquer ce mot de La Rochefoucauld : « L’esprit ne saurait jouer longtemps le rôle du cœur ? » maxime aussi vraie en littérature qu’en amour. Non, Modeste n’a rien de la jeune fille : elle n’en a ni l’ingénuité, ni la grâce, ni la naïveté d’impression, la candeur de sentiment. « C’est une petite rouée, » comme dit un des personnages du roman ; c’est une femme sans cœur ; si elle a de l’amour, ce n’est qu’un amour de tête, le plus triste, le plus faux de tous les amours : froide et malheureuse imitation de cette Bettina, la fantasque et chimérique amante de Goethe.

Une création aussi fausse que Modeste Mignon, c’est Louise de Chaulieu, l’une des héroïnes de ces Mémoires de Deux jeunes Mariées dont nous avons déjà parlé. Le premier volume de ce roman est consacré presque tout entier à raconter, avant le mariage, les amours de Louise ; mais quelles amours ! Celles de Modeste Mignon sont de la pastorale auprès. Qu’on nous permette, pour en donner une idée, de citer seulement quelques lignes où Louise fait elle-même son portrait : « J’ai des défauts, dit-elle ; mais si j’étais homme, je les aimerais : ces défauts viennent des espérances que je donne… Ma taille est sans souplesse, les flancs sont raides, mais toutes les