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On craint de se trouver pire quand on a lu M. de Balzac, et plus faible aux suggestions de l’égoïsme. Le comique de Molière fait du bien ; celui de l’auteur de la Vieille fille afflige et fait mal. Que dire de celui de l’auteur de Vautrin ?

Une chose qui n’a pas moins manqué à M. de Balzac que le sentiment moral, c’est la justesse, c’est la sobriété et la mesure. On a fait cette remarque, que ses histoires commencent généralement bien, et qu’elles finissent presque toujours mal. La même chose peut être dite de ses caractères. Au début, ils se posent à merveille, ils se dessinent nettement, les traits sont fins sans manquer de vigueur ; mais bientôt l’exagération se montre avec ses lignes heurtées, ses couleurs violentes : le portrait tourne à la charge. C’est la presque toujours le défaut de M. de Balzac, et c’est la grande raison pour laquelle, excellent tant qu’il reste dans la peinture des mœurs proprement dite, il lui arrive fréquemment d’échouer quand il aborde la peinture des caractères. Un de ses meilleurs ouvrages est la Recherche de l’Absolu. On l’admire beaucoup de détails ingénieux, de charmans portraits, et entre autres celui de Mme Claës, un des plus délicats qui soient tombés de son pinceau. La figure principale, celle de Balthasar, le savant fanatique, ne manque ni d’originalité ni de grandeur. Jusqu’au milieu du livre à peu près, Il y a de l’intérêt et des situations attachantes. Dans la seconde moitié, tout s’exagère et se gâte : adieu le naturel, et dès lors adieu l’intérêt et l’illusion. Cette fièvre de science qui dévore Balthasar est devenue une sorte de démence : ce n’est plus un enthousiaste, c’est un maniaque ; ce n’est plus un génie scientifique, c’est un fou. Vers la fin même, cette folie devient odieuse. Cet homme en qui l’idée fixe a tué jusqu’aux affections naturelles, qui laisse mourir sa femme sans même s’en apercevoir, qui dépouille violemment sa fille de sa dernière ressource, excite plus d’aversion que d’admiration ou de pitié.

L’avare est, sans contredit, un des caractères où M. de Balzac a mis le plus de finesse et de profondeur. Son chef-d’œuvre, Eugénie Grandet, repose, on le sait, sur cette donnée, et le sujet s’y trouve traité cette fois avec une mesure, une sobriété nerveuse que l’auteur n’a plus guère retrouvées depuis. Voyez-le reprendre en effet, dans un autre roman et sous un autre nom, le même caractère. Le père Séchard, dans une Imprimerie de province, c’est la seconde épreuve du père Grandet ; mais elle a poussé au noir. Autant le trait dans la première était pur et correct, autant dans la seconde il est lourd et grossier. En dépit de son avarice, Grandet est un homme ; il aime sa femme, il aime surtout sa fille. Le père Séchard est un type qui n’a plus rien d’humain ; il hait son fils.

Les portraits de vieilles filles ont toujours eu de l’attrait pour le