Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/743

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme Sand, ça et là sont semés quelques-uns de ces pitoyables sophismes du roman contemporain contre le mariage, institution tyrannique, incompatible avec l’amour et le bonheur dans l’amour, « où la femme est sacrifiée à la famille, » et, d’être moral qu’elle était auparavant, devient « une chose[1]. » On trouve aussi des invocations au culte des sens du genre de celle-ci : « Oh ! Renée ! Il y a cela d’admirable que le plaisir n’a pas besoin de religion, d’appareil ni de grands mots ; il est tout par lui-même, tandis que, pour justifier les atroces combinaisons de notre esclavage et de notre vassalité, les hommes ont accumulé les théories et les maximes[2]. »

M. de Balzac ne comprend pas l’amour dans le mariage. Lors même qu’il s’efforce le plus de l’idéaliser, ou bien il le fausse, ou bien il le rabaisse ; il en fait ou un rêve lascif, ou un sentiment grossier. Son roman d’Honorine en est encore une preuve. Honorine n’a pas trouvé dans le mariage le bonheur qu’elle cherchait : c’est qu’elle « cultivait dans son cœur la mystérieuse fleur de l’idéal, fleur enchantée, aux couleurs ardentes, et dont les parfums inspirent le dégoût des réalités[3]. « L’indigne amant auquel elle a sacrifié son honneur ne lui fait pas mieux connaître l’idéal qu’elle poursuit ; elle aussi est une sainte Thérèse qui, faute d’autre aliment, se nourrit d’extases[4]. Pourtant le comte Octave, le mari d’Honorine, est un homme grand par l’esprit et par le cœur, un type sublime de générosité et d’amour chevaleresque, ce qui n’empêche point sa femme de rêver un autre idéal, idéal de jeunesse et de beauté sans doute. De son côté, le comte raconte son désespoir quand sa femme l’a fui : pour étourdir son chagrin, il allait, dit-il, « jusque sur le seuil de l’infidélité ; » mais le souvenir d’Honorine l’arrêtait tout à coup… Vous vous imaginez peut-être que ce souvenir de l’épouse aimée, c’est l’image de ses grâces pudiques et de sa chaste beauté, des trésors de sa tendresse et des charmes de son esprit. En aucune façon ; il s’agit d’autres charmes et d’autres trésors. « En me rappelant, dit Octave, la délicatesse infinie de cette peau suave à travers laquelle on voit le sang couler et les nerfs palpiter…, en me souvenant d’un parfum céleste comme celui de la vertu, en retrouvant la lumière de ses regards, la joliesse de ses gestes, je m’enfuyais comme un homme qui va violer une tombe…[5]. »

M. de Balzac a été, dit-on, le romancier favori des femmes, et a dû à leurs vives sympathies la meilleure part de la popularité dont il

  1. Mémoires de Deux jeunes Mariées, lettre 20.
  2. Ibid., lettre 27.
  3. Honorine, chap. 37, t. II, p. 62, in-8o, 1843.
  4. Ibid., t. II, p. 63.
  5. Ibid, tome Ier, ch. XVIII, p. 157.