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y a seulement chez M. de Balzac un degré de plus de cynisme et un degré de moins d’élégance dans la corruption. Le livre De l’Amour sent davantage son homme du monde ; la Physiologie du Mariage a moins le ton de la bonne compagnie. Cependant, si nous ne pouvons concéder à l’ouvrage de M. de Balzac le mérite de l’originalité, nous accordons au moins une chose : c’est que, de tous ses écrits, c’est celui qui fournit peut-être l’expression la plus franche, la plus complète de sa personnalité. Il est là tout entier, avec ses instincts et son esprit un peu vulgaires, avec son goût pour les impuretés, surtout avec ce pessimisme qui ne sait voir dans la nature humaine que ses petitesses et ses turpitudes. Et c’est si bien là le fond de sa nature, que partout dans ses autres ouvrages on en retrouve la trace, plus ou moins visible, mais persistante. Nous avons déjà fait cette observation ; il faut y insister. Quelque sujet que traite M. de Balzac, sous quelque forme qu’il traduise sa pensée, de quelque vêtement de poésie, de sentimentalité ou de mysticisme qu’il essaie de l’envelopper, le vieil homme reparaît toujours. Il est des vices originels que l’art ne guérit point ; il est des habitudes fâcheuses, fruit d’une mauvaise éducation, dont on ne se débarrasse jamais complètement : ç’a été là son histoire. Un certain vernis de métaphysique ou de poésie peut faire parfois illusion ; mais grattez le poète ou le philosophe, vous trouverez dessous le docteur équivoque, le théoricien suspect de la Physiologie du Mariage. Que dis-je ? vous n’avez pas besoin de chercher : il se montrera de lui-même. Il cède, sans y songer, à son goût pour certaines questions indiscrètes, et ce fond de libertinage dogmatique, cette érudition malsaine, cette casuistique honteuse dont il a rédigé le manuel, percent çà et là jusque dans ses œuvres les plus chastes, elles viennent gâter souvent ses tableaux les plus charmans. La muse de M. de Balzac est fille de mauvais lieu : elle n’a jamais pu se déshabituer des images lascives et des paroles impures.

Que dans ses romans l’écrivain parle constamment du mariage comme d’une affaire, affaire d’argent, de vanité, d’ambition, où entrent les plus ignobles calculs, où ne comptent pour rien le cœur et les instincts généreux, — on peut à la rigueur le lui pardonner comme peinture de mœurs, tout en regrettant peut-être qu’au lieu de flétrir le mal il semble l’absoudre et l’encourager : c’est cette dernière impression que laisse le petit roman intitulé le Contrat de Mariage. Toutefois, ce qui choque bien plus que les sarcasmes et les théories froidement égoïstes sur le mariage, ce sont, dans le même livre, les enseignemens étranges, les conseils cyniques que l’auteur, met dans la bouche d’une mère s’adressant à sa fille ; c’est cette façon grossière et matérialiste qu’il a de traiter les choses les plus délicates et les plus intimes.