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Au premier abord, et quand on s’adresse cette question : quelles ont été les idées philosophiques de M. de Balzac ? on éprouve un véritable embarras. On s’aperçoit en le lisant qu’il a parlé tour à tour tous les langages, ici le langage du chrétien, et là celui de l’incrédule ; qu’il a prêché toutes les doctrines, aujourd’hui celles du rationalisme, et demain celles des mystiques. Sous ce prétexte qu’il est peintre, et qu’à ce titre il avait à reproduire toutes les faces de la pensée humaine, on reconnaît bientôt qu’il s’est amusé à préconiser et à railler alternativement tous les symboles et toutes les convictions, qu’il les a traités comme des imaginations plus ou moins ingénieuses, également soutenables suivant les cas et les points de vue, également indignes d’arrêter les hommes supérieurs. En un mot, l’impression que fait cette lecture, à mesure qu’on la pousse, est celle d’un scepticisme superficiel et léger qui prend les idées philosophiques comme des thèmes à variations littéraires, les dogmes religieux comme des symboles poétiques : au fond, très indifférent à toutes les opinions, les épousant successivement avec une égale facilité, passant sans scrupule d’un système au système contraire, se servant de tous sans en adopter aucun, et, parmi les contradictions humaines, ne se fiant finalement qu’à une chose, la matière, et ne montrant à l’homme qu’un but, le plaisir.

C’est qu’en réalité M. de Balzac est, avant tout et au fond, un disciple du XVIIIe siècle ; il en a l’esprit, les traditions, et, sous les costumes divers dont il s’affuble, le naturel se trahit. Il est sceptique par humeur, il est matérialiste par système et aussi par tempérament. Oh ! sans doute il vous montrera en maint endroit de ses ouvrages d’éclatantes adhésions à la foi chrétienne et à la tradition catholique. « Le christianisme, dit-il dans la préface de la Comédie humaine, et surtout le catholicisme, étant un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément de l’ordre social… Le christianisme est la seule religion possible… Le christianisme a créé les peuples modernes, il les conservera… » Mais ouvrez le Livre mystique, et vous lirez en tête cette solennelle déclaration : « Le doute travaille en ce moment la France. Après avoir perdu le gouvernement politique du monde, le catholicisme en perd le gouvernement moral. Rome mettra néanmoins autant de temps à tomber qu’en a mis Rome panthéiste. Quelle forme revêtira le sentiment religieux ? La réponse est, un secret de l’avenir[1]. »

Nous voudrions pouvoir citer tout au long cette préface du Livre mystique. Elle est curieuse à plus d’un titre. Gravement ému du

  1. Préface de 1835.