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Nous ne voulons cependant tirer de tout cela qu’une conclusion, la seule qui nous intéresse ; il nous semble que de tous ces détails, où nous avons essayé de ressaisir la physionomie morale de M. de Balzac, un fait déjà ressort assez clairement. C’était au total, et malgré de rares qualités, un esprit sans frein et sans lest, sans justesse et sans mesure, à qui faisaient également défaut l’élévation, la distinction, la délicatesse. Voyons si l’étude de l’œuvre confirmera ce que nous a révélé l’étude de l’homme.


II

On lit dans la préface de la Comédie humaine : « La loi de l’écrivain, ce qui le fait tel, ce qui, je ne crains pas de le dire, le rend égal et peut-être supérieur à l’homme d’état, est une décision quelconque sur les choses humaines, un dévouement absolu à des principes. Machiavel, Hobbes, Bossuet, Leibnitz, Kant, Montesquieu, sont la science que les hommes d’état appliquent. — Un écrivain doit avoir en morale et en politique des opinions arrêtées ; il doit se regarder comme un instituteur des hommes, car les hommes n’ont pas besoin de maîtres pour douter, a dit M. de Bonald. — J’ai pris de bonne heure pour règle ces grandes paroles. « Certes on ne saurait mieux dire, et voilà une fière profession de foi. Pour nous, qui adoptons de tout point ces principes, nous ne demandons pas mieux que de les voir appliqués, même par un romancier, et d’avoir à inscrire le nom de M. de Balzac (on voit assez que c’est sa secrète ambition et son secret espoir) à la suite des grands noms de Bossuet, de Leibnitz, de Kant et de Montesquieu.

Entre toutes ses prétentions, ç’a été la prétention suprême de l’auteur de la Peau de Chagrin d’être un philosophe, un penseur, un de ces instituteurs des hommes qui ont pour rôle ici-bas de découvrir les principes éternels de la science, d’en Vulgariser les résultats et d’en livrer les formules à l’habileté secondaire des hommes pratiques. Avant donc d’en venir à l’examen des principaux ouvrages de M. de Balzac, on est en droit de lui demander quelle est la pensée philosophique qui domine l’ensemble de son œuvre, quelles sont les croyances, quelles sont les doctrines qu’il a développées ? On risque un peu, nous le sentons bien, de prêter à rire en se posant sérieusement ces questions au sujet de l’auteur des Contes drolatiques ; mais si ses idées n’ont pas grande consistance, si ses opinions n’ont pas grande valeur par elles-mêmes, elles pourront du moins nous éclairer sur les tendances morales de l’écrivain, sur la portée morale de l’œuvre. Or c’est là le point qui nous intéresse particulièrement, et.sur lequel nous voulons le plus insister ici.