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dans la discrétion de Mme de Montarcy. Le secret que le roi lui a confié est pour elle un secret d’état. En le révélant, elle croirait trahir à la fois la dignité de la couronne et l’honneur de la France. La seule chose qui puisse nous étonner dans ce personnage, c’est la constance de son amour pour son mari. La splendeur de la cour ne l’éblouit pas un seul instant. Elle ne conçoit le bonheur que dans l’accomplissement du devoir. Pour les courtisans de Versailles, une telle vertu n’est pas de mise dans le monde réel. Mme de Montarcy parle au roi en tête-à-tête, le roi lui baise la main. Pourquoi donc ne règnerait-elle pas à son tour ? Ils ne doutent pas de la résignation du mari, et sollicitent sa faveur sans comprendre son étonnement et sa colère.

J’en ai dit assez pour établir la valeur historique et poétique des personnages. Il s’agit maintenant de savoir comment l’auteur les a mis en scène. C’est d’après l’examen de cette question que nous devons décider ce que signifient ses facultés dramatiques, et chacun sait que les facultés dramatiques sont d’une nature toute spéciale. Parfois elles se rencontrent chez des hommes qui ne possèdent pas un sentiment très fin de la poésie. Il est vrai que dans ce cas elles devraient changer de nom, et s’appeler théâtrales plutôt que dramatiques ; mais le public s’y méprend volontiers et les confond avec une sorte d’obstination. Chez M. Bouilhet, il n’y a pas lieu de mettre en doute le sentiment poétique : deux pages de Melœnis, prises même au hasard, suffiraient à marquer son rang. Seulement il convient de se rappeler que poésie et drame ne sont pas une seule et même chose. L’expression la plus émouvante des sentimens personnels ne démontre pas d’une manière décisive l’aptitude dramatique du poète. Dire ce qu’on a souffert, ce qu’on a espéré, peindre ses regrets, ses déceptions, est une tâche difficile, délicate, mais qui n’a rien à démêler avec l’invention d’une fable où tous les personnages se meuvent librement, naturellement, et gardent sans jamais se démentir le caractère qui leur est assigné. C’est d’après ces principes qu’il faut juger Madame de Montarcy.

Le premier acte est spirituel et animé. Des courtisans réunis autour d’une table s’entretiennent de l’austérité de la cour et de leurs espérances déçues. On parle de l’arrivée à Versailles d’une femme jeune et belle. Le règne de la Maintenon va finir. Les courtisans se réjouissent à cette pensée ; mais ils croyaient s’entretenir devant des murailles sourdes, et les murailles écoutaient. D’Aubigné, le frère de la Maintenon, abusé par un message qui lui promettait un rendez-vous, les avait devancés dans le cabaret où ils sont attablés, et s’était caché en les voyant arriver. Quand il paraît, les courtisans se tiennent pour perdus. Ils n’ont rien déguisé de leurs ressentimens, et donneraient tout au monde pour effacer le souvenir de leurs paroles. D’Aubigné les rassure d’un mot : qu’ils se taisent, il se taira. Sa sœur, Mme de Maintenon, l’a souvent réprimandé sur ses folles équipées ; elle n’apprendrait pas sans colère qu’il s’engage dans une nouvelle aventure. Il part, et nous voyons arriver Mme de Montarcy, accompagnée de son mari. Pourquoi viennent-ils dans ce cabaret ? Je n’ai pas réussi à le deviner. Aussi, malgré la vivacité du dialogue, malgré la franchise de l’expression, malgré les mots heureux que le public a très justement applaudis, je pense que ce premier acte n’est pas ce qu’il devrait être, et pèche un peu par l’invraisemblance.