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plomatie s’occupe à éclaircir et à régler, elles les dépassent presque en importance, et elles ont surtout cela de significatif, qu’il n’y a en elles rien de spécial ou de local ; elles sont l’affaire de bien des pays sur le continent. En Piémont, le gouvernement, pour venir en aide au commerce et à l’industrie, modifie les statuts de son principal établissement de crédit, la Banque de Turin, en augmentant le chiffre des billets émissibles. En Espagne, outre les charges du trésor, qui sont immenses, le gouvernement est en face d’une crise industrielle qui paralyse le travail manufacturier de la Catalogne, et d’une crise des subsistances qui pèse sur tout le royaume. Il en est un peu de même au nord et au midi, sans excepter la France, qui est le pays où toutes les questions se donnent en quelque sorte rendez-vous, sans doute parce que la France a le privilège d’être le laboratoire de tous les peuples. Partout, en un mot, on a pu voir se succéder ou se grouper tous ces faits qui n’ont point cessé d’être une des plus vives préoccupations du moment : troubles dans la circulation monétaire, dépréciation des valeurs publiques, crises des subsistances, élévation du prix de toutes choses se combinant avec le resserrement des ressource individuelles. L’embarras est de saisir la véritable cause de ces perturbations. Elles n’ont rien de profond ni de durable, dira-t-on ; elles sont dues à des causes accidentelles, à la multiplicité des entreprises industrielles, aux dépenses de la guerre, à des mouvemens faciles à pressentir dans la répartition des valeurs métalliques, à une crise imprévue des subsistances ; de plus, elles n’ont rien qui affecte la situation générale en France, puisqu’elles se concilient au contraire avec le progrès constant de la fortune publique, progrès attesté par l’augmentation des revenus indirects. Économiquement, il est possible sans doute d’observer chaque phénomène en particulier et de le suivre jusqu’au dénoûment ordinaire de ces sortes d’incidens, mais il reste un fait plus particulièrement social : c’est la gêne universelle se manifestant au sein du luxe d’une société extérieurement florissante, au milieu du plus vaste déploiement de la richesse. La chose la plus caractéristique peut-être aujourd’hui, la plus grave à coup sûr, c’est ce malaise des existences privées, c’est cette difficulté croissante de vivre qui se fait sentir dans toutes les situations, dans toutes les classes, aux extrémités comme au centre du pays, dans les provinces les plus reculées comme à Paris.

Ce malaise est-il entièrement passager, lui aussi ? Eh dehors de ce qui peut lui communiquer par momens une certaine recrudescence, n’est-il pas dû à des causes profondes et en quelque façon permanentes ? Le remède n’est peut-être pas aussi facile à trouver ici, parce que le mal n’est pas seulement dans une perturbation économique d’un instant ; il est dans l’esprit, dans les mœurs, dans les tendances de l’époque. On se fait parfois une idée singulière de ce vaste mouvement qui se déroule sous nos yeux. Oui, sans doute, la richesse publique a pris un développement considérable depuis trente années. La valeur de la propriété territoriale a augmenté ; les affaires de l’industrie et du commerce se sont multipliées. En un mot, la sphère de l’activité humaine s’est étendue de toutes parts, et, par une conséquence naturelle, les produits de cette activité se sont accrus notablement. Toutefois il survient ici une circonstance également naturelle, c’est que les hommes, gagnant ou recueillant davantage, se trouvent avoir aussi beaucoup plus à