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pour le moment livrée à la plus singulière crise politique, sans qu’on sache exactement où elle peut conduire, comment elle peut se dénouer. N’est-ce point en effet une crise véritable, et des plus profondes, que cet état indéfinissable où il y a un gouvernement régulier, une constitution promulguée, et où rien ne semble définitif, où toutes les influences s’agitent sans qu’une pensée politique se dessine, où la monarchie est souveraine, incontestée, et où l’on discute des plans qui peuvent faire disparaître la royauté actuelle ? Le projet d’une fusion des deux branches de la famille royale au moyen d’un mariage entre la fille de la reine Isabelle et le fils de l’infant don Juan, frère du comte de Montemolin, ce projet dont nous parlions récemment n’est point abandonné ; seulement il reste encore dans les conciliabules intimes. En attendant, le ministère demeure assez immobile, ne parvenant pas toujours à vaincre les résistances de la reine en certaines questions, et ne pouvant s’appuyer au dehors sur aucune opinion compacte. Dans la prévision d’une nouvelle modification ministérielle, qui peut être retardée, comme elle peut être brusquement précipitée, on aperçoit déjà à Madrid plusieurs combinaisons. L’une réunirait MM. Rios-Rosas, Mon, Armero, O’Donnell, avec les sympathies et le concours des vicalvaristes ; l’autre ferait arriver au pouvoir le marquis de Viluma ; le général Pezuela, MM. Bravo Murillo, Bertran de Lis. Comme on voit, ce sont toujours les deux tendances principales : l’une constitutionnelle, libérale, sans cesser d’être conservatrice, l’autre inclinant vers un absolutisme plus prononcé. Pour l’instant, toutes les nuances progressistes sont définitivement hors de cause, et l’échauffourée républicaine qui vient d’avoir lieu à Malaga est restée sans écho. La politique d’ailleurs n’est point le seul embarras du gouvernement de Madrid. La crise industrielle qui sévit en Catalogne, et qui réduit les manufactures à suspendre leurs travaux, l’insuffisance des denrées, les finances surtout, sont autant de difficultés sérieuses. Pressé par les nécessités d’un trésor obéré, le cabinet de Madrid vient, dit-on, de faire avec un millionnaire français de fraîche date une opération qui dénote les embarras du moment. On se souvient peut-être que les cortès constituantes, il y a plus d’un an, accordaient au gouvernement l’autorisation d’émettre 2 milliards de réaux en titres de la dette publique pour se procurer 500 millions effectifs. Le cabinet actuel vient de se servir, à ce qu’il parait, de cette autorisation, dont on n’avait pas fait usage. Il aurait remis un milliard de réaux en inscriptions de la dette consolidée pour avoir 280 millions, et les titres auraient été pris au taux de 41 pour 100, d’où il faudrait déduire 3 pour 100 de commission et le coupon qui va échoir. Si on voulait énumérer toutes les charges du trésor espagnol, il y aurait à tenir compte d’une dette flottante considérable, d’une négociation récente sur les caisses de La Havane, de diverses obligations encore, sans oublier un déficit de 300 millions de réaux dans le budget. Tout cela ne constitue pas une situation très facile et très prospère. Cette situation cependant n’aurait rien d’irrémédiable à coup sûr ; mais la première condition serait de remettre l’ordre et la sécurité dans la politique.

Le monde d’aujourd’hui, tel qu’il apparaît dans la diversité de ses intérêts, est livré à des perplexités de plus d’une sorte. Les questions diplomatiques ou les crises de pouvoir n’excluent pas les questions économiques : celles-ci marchent certainement de pair aujourd’hui avec tous ces litiges que la di-