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du jugement et du bon sens. Sa participation aux conférences d’Ostende a été une manœuvre électorale devant laquelle il a d’autant moins hésité, que, par une incroyable faiblesse, le gouvernement américain en assumait la responsabilité ; mais pour avoir mis sa signature à côté de celle de M. Soulé, M. Buchanan ne se croit point obligé d’épouser toutes les idées de ce démagogue cosmopolite. Il ouvrira peut-être des négociations avec l’Espagne pour lui proposer de vendre Cuba aux États-Unis, et, pourvu qu’il ait un certain nombre de dépêches à communiquer au sénat en cas de besoin, il se tiendra pour satisfait et se croira quitte envers ses électeurs.

Quant à l’intérieur, M. Buchanan est trop avisé et trop clairvoyant pour se mettre à la remorque des hommes qui l’ont nommé. Le sud, en le faisant arriver à la présidence, lui adonné tout ce qu’il en pouvait espérer ; le sud ne saurait par ses seules forces lui assurer dans le congrès, ni même dans une seule des deux chambres, la majorité nécessaire pour gouverner. Il faudrait donc toujours demander aux démocrates du nord l’appoint indispensable, et cet appoint ne pourrait être obtenu que par des concessions. À servir aveuglément les exigences du sud et à suivre l’exemple de M. Pierce, M. Buchanan ne gagnerait que les embarras, les échecs et la déconsidération qui ont marqué la dernière administration. Nous croyons donc que M. Buchanan prendra l’initiative des concessions au nord, parce qu’il doit voir que le danger le plus à redouter vient aujourd’hui du côté des états libres. Il fera exécuter le Ml de Nebraska et Kansas pour ne pas renouveler des débats périlleux ; mais il ne favorisera pas le développement de l’esclavage dans le Kansas, il y rétablira à tout prix la tranquillité, et il y fera respecter la liberté des élections. Il laissera en même temps à la colonisation libre toute facilité de s’étendre dans le territoire nord-ouest, afin qu’une prompte prise de possession de sa part prévienne toute contestation ultérieure, et il se confiera au temps pour ramener la modération et -le calme dans les esprits. Si cependant, au lieu de tenir cette conduite prudente et de désarmer le légitime ressentiment du nord, M. Buchanan se laissait entraîner par ses engagemens de parti à épouser les querelles du sud, ou à suivre la politique tortueuse et vacillante de M. Pierce, il verrait le nord s’organiser immédiatement en vue de l’élection de 1860 ; il aurait M. Fremont pour successeur dans la présidence, et le jour des dangers sérieux serait venu pour l’Union américaine.


CUCHEVAL-CLARIGNY.