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puisse faire, et la suprême ambition d’un petit bourgeois du sud est d’acheter sur ses économies deux ou trois esclaves artisans, puis de vivre avec le produit de leur travail.

L’esclavage tend donc de plus en plus, dans les états riverains de l’Atlantique, à redevenir ce qu’il était à Rome et dans la Grèce : il tue le travail libre en faisant passer graduellement toutes les industries et tous les métiers aux mains des esclaves, et il commence à diviser déjà la race blanche en deux classes très distinctes : les propriétaires d’esclaves vivant dans l’oisiveté et les prolétaires voués à l’ignorance[1], à la misère et à la dégradation. C’est se méprendre complètement sur le caractère de l’esclavage aux États-Unis que de se figurer les planteurs américains vivant au milieu de vastes domaines et entourés de nombreux esclaves ; cela n’est vrai que des états riverains du Mississipi, où l’on cultive la canne à sucre, le riz et le coton. Le nombre total des propriétaires d’esclaves est de 350,000, sur lesquels il n’en est que 7,800 qui aient plus de 50 esclaves. Dans le Kentucky, le Maryland et le Missouri, la proportion des maîtres qui ne possèdent qu’un seul esclave est du quart, elle est du cinquième dans la Virginie et le Tennessee, du sixième dans la Géorgie : la proportion des maîtres qui ont de 1 à 4 esclaves varie de la moitié aux deux tiers dans tous les états. Évidemment aucun des esclaves ainsi possédés n’est appliqué aux travaux agricoles ; on peut les considérer comme employés à l’intérieur des maisons ou comme des gens de métier donnés en location par leurs propriétaires.

Enfin, pour compléter ce triste tableau, ajoutons que la sévérité des lois qui régissent l’esclavage a été aggravée d’année en année, à tel point que l’on va jusqu’à refuser aux esclaves, non-seulement toute instruction scolaire, mais même l’enseignement religieux. Un journal du sud a osé imprimer à ce sujet ces incroyables paroles : « La meule moudrait-elle mieux le blé, si elle savait qu’elle est meule ? Parce qu’une machine est vivante, qu’a-t-elle besoin de savoir autre chose que ce qu’elle est destinée à faire ? » Un dernier trait ; et ce n’est pas le moins regrettable, est la complète cessation des affranchissemens. Veut-on savoir quel est annuellement le nombre des esclaves affranchis ? Dans l’Arkansas, il est d’un esclave sur 342,000 ; dans la Caroline du sud, de 2 sur 385,000 ; dans la Caroline du nord, de 2 sur 288,000 ; dans le Texas, de 5 sur 60,000 ; dans le Mississipi, de 6 sur 310,000. Par un contraste tout à l’honneur de la religion catholique, le nombre des affranchissemens dans le Maryland est annuellement de 500 sur une population esclave de moins de 90,000 âmes.

  1. D’après le recensement de 1850, le nombre des blancs qui ne savent ni lire ni écrire est à peine de 5 sur 1,000 dans la Nouvelle-Angleterre ; il varie de 100 à 150 sur 1,000 dans les états à esclaves.