Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la sanctionner, de peur de justifier les plaintes que la présence de free-soilers dans le cabinet avait provoquées de la part des avocats de l’esclavage.

L’adoption du bill causa dans tout le nord une agitation profonde. La faculté laissée aux futurs colons du Kansas et du Nebraska remettait implicitement en question un point que le nord était fondé à regarder comme tranché depuis plus de trente ans. Le compromis du Missouri avait formellement interdit l’esclavage au nord du 36e degré de latitude ; reconnaître aux habitans des nouveaux territoires le droit de statuer sur la question de l’esclavage, c’était supposer qu’une poignée de citoyens, ou plutôt d’aspirans citoyens, pouvaient se mettre au-dessus de la volonté formellement exprimée de l’Union tout entière et abroger une décision du congrès. Il était évident pour tout le monde que si les hommes du sud avaient attaché une si grande importance au bill de M. Douglas, c’est qu’un plan, était tout prêt pour introduire l’esclavage dans ces contrées, réservées depuis 1821 à la colonisation libre. Les faits, du reste, en donnèrent bientôt la preuve. La plupart des colons établis dans le Kansas y étaient venus des états libres d’Illinois et d’Iowa ; un petit nombre seulement sortaient du Missouri. Le gouverneur du territoire, M. Reeder, homme du nord, nommé par l’influence de M. Marcy, passait pour un free-soiler. Il convoqua les habitans du territoire à Leavenworth pour les derniers jours de mars 1855, afin qu’ils nommassent une assemblée législative chargée de régler provisoirement les affaires locales, et un délégué chargé de les représenter auprès du gouvernement fédéral. Si on avait laissé les colons voter librement, nul doute que leurs élus n’eussent été animés du même esprit qu’eux-mêmes : l’un des premiers actes de l’assemblée législative eût donc été l’interdiction de l’esclavage. Il fallait prévenir une semblable décision, il fallait que la majorité, dans les futures assemblées, appartînt aux colons venus du Missouri. Pour empêcher toute fraude, M. Reeder, dans sa proclamation, annonçait que tout électeur aurait à déclarer sous serment qu’il était, réellement habitant du territoire, et qu’il avait l’intention d’y résider. Pendant que les hommes influens du sud obsédaient le président et lui arrachaient la destitution de M. Reeder, et son remplacement par un partisan de l’esclavage, M. William Shannon, les habitans du Missouri envahissaient purement et simplement le Kansas. Les deux meneurs de cet audacieux coup de main furent un nommé Stringfellow, membre de la chambre basse du Missouri, et, ce qu’on aurait peine à croire, un ancien sénateur, M. Atchison, dont une ville du Missouri porte le nom. Voici le langage que tint Stringfellow dans une réunion publique :

« Quant à ceux qui ont des scrupules de conscience à l’idée de violer les lois de l’état ou de la confédération, le moment est venu pour eux de mettre