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des filés anglais dans le Zollverein ; mais le champ de la consommation acquerra, sous les auspices du bon marché, une extension telle que, malgré cette importation, la production nationale devra être, si elle le veut bien, plus grande qu’aujourd’hui : dans le Zollverein, l’introduction des filés anglais n’empêche pas la filature intérieure de s’accroître fort rapidement.

Les faits que je viens d’indiquer ont trop d’importance pour que je ne me croie pas tenu de les exposer avec quelque détail. Rappelons donc quelle est la grandeur du commerce auquel donnent lieu dans le monde les articles de coton, rappelons ce qu’est pour cet article la fourniture que réclame le marché général, et à laquelle nous ne prenons, quant à présent, par notre faute, qu’une part secondaire. L’Angleterre a exporté en 1855 1 milliard 64 millions de mètres de calicot blanc ou écru, 583 millions de mètres de cotonnades teintes et imprimées, 100 millions de mètres d’autres articles, sans compter une immense quantité de bonneterie, et 65 millions de kilogrammes de coton filé. On estime que c’est une valeur de 879 millions dont 696 pour les tissus, et 183 pour les fils. Avec ce que versent les autres peuples sur le marché général, le montant total excède un milliard. Là-dessus, le contingent de la France est de 75 millions. D’autres peuples moins avancés dans leur industrie conquièrent annuellement une place de plus en plus large dans cette immense fourniture. C’est le Zollverein, ce sont les Suisses et les États-Unis. C’est que les uns et les autres se sont abstenus de donner à leur industrie cotonnière le fatal privilège de la prohibition. Particulièrement à l’égard des filés, non-seulement ils ne prohibent pas, mais ils ont des droits modérés, à peu près nuls en Suisse, et insignifians, surtout pour les qualités un peu fines, dans le Zollverein. La conséquence en est écrite dans leurs tableaux du commerce, car si l’on examine les exportations de ces peuples en tissus de coton, l’on est frappé de la rapidité de la progression qu’elles offrent. Il y a dix ans, le Zollverein en exportait 4 millions de kilogrammes (c’est la moyenne des deux années 1846 et 1847). En 1854, il en a exporté 10,200,000. La Suisse, qui est bien nouvelle dans la carrière, en est à 7,529,000 kilogrammes. Si maintenant on retranche des exportations de la France ce qui est destiné aux marchés réservés, l’Algérie et les colonies, on a le regret de découvrir que, par la quantité au moins, nous sommes au-dessous du Zollverein et même de la Suisse. En effet, la moyenne des deux années 1846-47, déduction faite des colonies, a été de 3,579,000 kilogrammes ; c’était, avec un septième en moins, celle du Zollverein. Notre exportation en 1854 a été de 5,350,000, ce n’est plus guère que la moitié du Zollverein. Voilà donc comment le régime prohibitif protège le travail