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avoir vu l’empereur à Saint-Cloud, et avoir obtenu de lui la promesse que toutes les prohibitions allaient être levées. Cet agent d’une politique infernale paraît avoir pour complices, sinon pour instigateurs, la chambre de commerce de Manchester et l’ambassadeur anglais lord Clarendon (lord Clarendon est plus qu’ambassadeur, il est ministre des affaires étrangères, et c’est une circonstance aggravante). « Les journaux font connaître, dit M. Mimerel, que la chambre de commerce de Manchester s’était rendue près de l’ambassadeur anglais, lord Clarendon, pour le prier de demander et d’obtenir, pour les tissus de l’Angleterre, un accès plus facile sur le marché français. Le noble lord promit ; il le fit avec d’autant plus d’empressement, qu’il appréciait à sa valeur la faveur réclamée. »

Heureusement pour nous, M. Mimerel veillait ; d’un œil ferme il suivait les pas des conspirateurs. S’il n’a pu empêcher la présentation du projet de loi portant retrait des prohibitions, il a fait mieux, Il y a fait échouer ; mais sans lui tout était perdu.

Nous l’avons, en dormant, madame, échappé belle.

Il est pénible d’avoir à le reconnaître, mais c’est incontestable, on a obtenu le succès le plus complet avec ces commérages sur les Anglais. Les populations se sont émues à Rouen et dans deux ou trois autres grandes villes ; plusieurs chambres de commerce ont éprouvé de vives inquiétudes ou ont parlé comme si elles en éprouvaient, et le 17 octobre le gouvernement, qui ne voulait pas compromettre la tranquillité publique, a publié par le Moniteur la note que l’on connaît, et qui remet au let juillet 1861 la levée des prohibitions. M. Mimerel se demande pourquoi ce frémissement d’opinion, pourquoi cette fièvre d’inquiétude qui agite tout le corps industriel ? Il n’a qu’à relire son rapport pour avoir la réponse à la question qu’il pose. Au même moment où il présentait son rapport au conseil-général du Nord, les mêmes idées qu’il l’expose au sujet de l’Angleterre étaient activement propagées parmi les ouvriers. On répandait parmi les populations ce qu’il dit en toutes lettres, que par le changement de nos lois (c’est-à-dire par la levée des prohibitions) nos ouvriers allaient être appauvris et désœuvrés au profit de l’Angleterre. On leur récitait cette fable, qu’il a consignée tout au long dans son rap port, que, dans les pays d’Allemagne où la prohibition n’existe pas, l’ouvrier reçoit un franc pour le même travail qui en vaut quatre à l’ouvrier français. Toutes ces assertions hasardées ont été commentées avec addition d’injures dans différentes brochures qu’on a distribuées aux ouvriers à Lille ou à Rouen. Voilà pourquoi l’opinion a frémi dans ces villes ; ce n’est pas pour autre chose. Je tiens quelques-uns de ces écrits à la disposition de M. Mimerel.

En de telles circonstances, il n’est pas hors de propos de dire un