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élevés les prix de vente. Tel est le langage que tiendra, si elle prend la peine d’y réfléchir après avoir examiné les faits, toute personne qui éprouve cette vive sympathie pour les masses populaires que professe sincèrement, je le crois, l’école prohibitioniste, mais dont il lui reste peut-être à administrer la preuve effective.

C’est ici le lieu d’insister sur l’étroite solidarité que je viens de signaler entre le degré d’avancement de l’industrie et les conditions de l’existence des populations. Avec une industrie perfectionnée, c’est-à-dire avec de bonnes machines, un bon outillage et des pro cédés conformes aux indications progressives de la science, on voit grandir rapidement, de manière à acquérir des proportions extra ordinaires, la quantité (à qualité au moins égale) des produits de toute sorte qui correspond à une quantité déterminée de travail humain. Dans les sociétés peu avancées, comme sont les tribus arabes ou les villages de l’intérieur de la Russie, où la mouture du grain se fait de la manière la plus arriérée, c’est-à-dire à bras, le travail d’une personne appliquée à faire de la farine produit de quoi nourrir vingt-cinq bouches environ. Dans les moulins organisés comme nous en voyons beaucoup en France, avec les moteurs inanimés et les mécanismes savans dont l’homme s’assiste, à chaque ouvrier employé correspond la production de trois mille rations.

Voilà donc une industrie où le perfectionnement des procédés a multiplié la puissance productive de l’homme dans le rapport de 25 à 3,000, ou de 1 à 120. Dans l’industrie de la filature du coton, depuis moins de cent ans, par la substitution du métier à filer au rouet, par les améliorations que ce métier a subies, et par la mise en œuvre de plus en plus générale, dans les opérations diverses des arts, des forces naturelles, la progression est dans le rapport de 1 à 300 ou 350. Dans l’industrie de la filature du lin, un changement analogue s’est accompli depuis vingt ans. Des faits de ce genre peu vent s’observer dans toutes les branches de l’industrie. C’est l’honneur des soixante dernières années d’avoir imprimé à ce mouvement une rapidité et une étendue jusqu’alors inconnues. Or cet accroissement de la puissance productive de l’individu est synonyme de l’accroissement de la richesse générale, car la richesse d’une nation ou du moins son revenu annuel, c’est la masse annuelle des produits qu’elle suscite en tout genre. Quand les produits sont plus abondans avec une même quantité de travail, ainsi que je viens de le dire, cette abondance se révèle et se constate par le bon marché, et avec un même salaire en argent le pauvre a une existence meilleure : il est mieux nourri, mieux vêtu, mieux meublé. Avec cette production plus abondante, on peut réserver une part des produits ; le montant de cette réserve représente ou plutôt constitue l’épargne annuelle de la nation, et c’est ainsi que se forment des capitaux qui fécondent