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les procédés. M. Mimerel dit lui-même, dans le rapport qui nous occupe, qu’actuellement en France le prix des étoffes est quatre fois moindre qu’en 1816. Si, comme il le prétend, il était impossible aux prix de diminuer sans que les salaires fussent atteints d’au tant, les salaires aujourd’hui ne seraient donc que le quart de ce qu’ils étaient il y a quarante ans. Or depuis cette époque les salaires n’ont pas été réduits, ils ont augmenté au contraire. Si le taux des salaires réglait seul le prix des marchandises, l’Angleterre est le pays d’Europe où tous les produits sans exception seraient le plus chers, puisque c’est incomparablement de toute l’Europe la contrée où la main-d’œuvre est au plus haut prix. Le royaume de Naples serait le pays qui produirait au meilleur marché, puisque les salaires y sont avilis. C’est précisément l’inverse de la réalité. L’Angleterre, qui a la main-d’œuvre la plus chère, produit à bon marché la plupart des articles manufacturés ; le royaume des Deux-Siciles, où la main-d’œuvre est à vil prix, les produit chèrement. D’où la différence ? C’est qu’en Angleterre on emploie les bons procédés, et on a le bon outillage. Dans les Deux-Siciles, on est mal outillé et on emploie des procédés arriérés.

Eh bien ! la prohibition et en général les droits protecteurs, lors qu’ils sont élevés, amortissent l’aiguillon qui oblige les chefs d’industrie à perfectionner les procédés et à s’emparer des perfectionnemens inventés soit à l’intérieur, soit chez les autres peuples. La concurrence étrangère est un stimulant indispensable pour suppléer à ce que la concurrence intérieure peut avoir et a souvent d’insuffisant. En l’absence de la concurrence étrangère, et surtout lorsque celle-ci est anéantie par la prohibition, il se produit des faits du genre de celui qu’a raconté M. Jean Dollfus au sujet de vieux métiers à filer le coton qui dataient de 1810, époque depuis laquelle trois ou quatre générations de métiers de plus en plus parfaits se sont rem placées l’une l’autre. Ces antiques appareils, que M. Jean Dollfus avait fait démonter, gisaient sous un hangar, lorsqu’un habitant des Vosges vint le trouver et lui proposa de les acheter. — Et que voulez-vous faire de ces vieilleries ? dit M. Jean Dollfus, je les ai de montées, et j’aurais dû le faire bien plus tôt. Il y a infiniment plus d’avantage à travailler avec les métiers modernes, les métiers renfileurs. — Que vous importe ? reprit l’habitant des Vosges ; sous le système prohibitif, qui rend le filateur maître du marché quels que soient ses mécanismes, je gagnerai encore de l’argent avec ces métiers. J’en gagnerai d’autant plus que vous me les aurez vendus comme vieux bois et vieux fer. — À l’heure qu’il est, ces gothiques métiers travaillent dans les Vosges. Verrait-on rien de pareil, si nous avions un tarif modéré, au lieu de la prohibition ?

Lorsque la concurrence étrangère est écartée par la prohibition ou