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ou de nous faire tressaillir au récit de la soirée de la bataille d’Essling. Qu’est-ce que tout cela auprès des succès de M. Mimerel ? pendant que les plus illustres auteurs barbouillent du papier, il écrit, lui, sur les tables de bronze de l’histoire ; tandis que les princes des lettres font le récit des événemens, de sa puissante main il les pétrit et les jette dans le moule. Que dis-je ? il répète les prodiges de Josué ! Le vaillant capitaine d’Israël, un jour de victoire, dit au soleil de s’arrêter, et il fut obéi. Le chef des prohibitionistes, un jour où son armée était ébranlée par le mouvement général qui porte les peuples à unir leurs intérêts et à resserrer leurs relations commerciales, où la cause de la prohibition semblait perdue sans retour, a signifié à ce mouvement, qu’on eût supposé aussi irrésistible que la marche des astres, qu’il eût à s’arrêter, et le mouvement s’est suspendu : regardez plutôt autour de vous. La levée des prohibitions n’est-elle pas ajournée à cinq ans ? Josué fit remonter le Jourdain vers sa source, M. Mimerel oblige le courant de la civilisation d’aller en arrière. Josué, du son de sa trompette, a renversé les murailles de Jéricho : à la voix de M. Mimerel, la muraille de Chine érigée autour de nos frontières, qui croulait de toutes parts, a réparé ses brèches, et la voilà qui, de nouveau solide sur ses fondemens, défie tous les assauts. Auprès de ce pouvoir surnaturel, qu’était celui de nos rois, qui se bornait à guérir un vilain mal au cou ? Si M. Mimerel conserve de la modestie, il a un mérite sans égal, et pour tant de vertu stoïque le moins que puisse faire l’Académie française est de venir en corps déposer à ses pieds le prix Montyon.

Rappelons dans quelles circonstances cette œuvre s’est produite. L’industrie française s’était montrée tellement avancée, tellement forte aux deux expositions universelles de Londres et de Paris, et surtout à la dernière, que, de toutes parts, ce ne fut plus qu’une voix contre la prohibition, qui eût l’alpha et l’oméga du tarif des douanes françaises pour les objets manufacturés. La prohibition succombait ainsi, étouffée sous les couronnes décernées à l’industrie nationale. Les prohibitionistes les plus renforcés en avaient fait leur deuil. Si, le lendemain de la distribution solennelle des récompenses, le Moniteur avait contenu un décret portant l’abolition de toutes les prohibitions dans un délai d’un an ou de six mois, personne n’en eût été surpris, pas une plainte n’eût été proférée. On fut même généralement étonné alors du silence que gardait le gouvernement, on regrettait qu’il ne profitât pas de l’unanime disposition des esprits ; mais tout le monde semblait si bien convaincu ou résigné, que le gouvernement ne voyait pas d’inconvénient à attendre. Il aurait pu procéder par la voie d’un décret, sauf à demander la sanction législative après que l’expérience aurait prononcé et