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les vases chinois et les vases grecs.

les Grecs ont élevé la fabrication de leurs poteries à la dignité d’art, tandis que les Chinois ont laissé leur porcelaine au premier rang parmi les magnificences de l’industrie.

Il n’est pas nécessaire de rappeler combien ces magnificences ont frappé les Européens, dès que le commerce portugais les eut fait connaître. Délaissées ou reprises selon le goût des diverses époques, elles sont aujourd’hui l’objet d’une passion générale ; jamais elles n’ont inspiré de plus dispendieuses folies ; c’est pourquoi l’opinion devait accueillir avec faveur le livre du savant sinologue qui nous a révélé l’histoire de la porcelaine en Chine. M. Stanislas Julien, pour qui la langue la plus difficile du monde n’a pas de secrets, a traduit le travail d’un honnête lettré de King-te-tchin. C’est une compilation sèche, sans talent, où des traités plus anciens sont résumés dans l’ordre le moins attrayant qui se puisse imaginer. L’introduction de M. Julien donne heureusement la clé de cette confusion pleine de méthode. Avec une bonne grâce pour laquelle les lecteurs ne trouveront jamais assez d’éloges, le traducteur a multiplié les tables, les résumés, les planches, afin de nous aider à pénétrer dans le minutieux chaos qu’on appelle un livre chinois. Au milieu de ce chaos toutefois, les détails curieux abondent : j’espère le montrer dans la seconde partie de cette étude, en m’attachant plus particulièrement aux vases chinois.


II.

La manufacture impériale de King-te-tchin est un bourg immense, où l’on compte plus d’un million d’habitans. Les maisons entassées, les rues étroites, l’activité bruyante de la foule, les tourbillons de fumée et de flamme qui s’élèvent en divers endroits, tout rappelle l’aspect à la fois triste et animé de nos grandes cités commerçantes. « À l’entrée de la nuit, dit un voyageur, on croit voir une ville tout en feu, ou bien une vaste fournaise qui a plusieurs soupiraux. » Là, malgré la cherté des vivres, se pressent les familles indigentes, parce que les moins robustes trouvent de l’emploi. Il n’est pas jusqu’aux aveugles qui n’y gagnent leur vie à broyer des couleurs. Un seul mandarin gouverne cette ruche populeuse, il y maintient un ordre parfait : ce n’est pas le moindre éloge du caractère chinois.

En 1815, le gouverneur de King-te-tchin était un esprit observateur, curieux de pénétrer les secrets variés de la fabrication ; il s’intéressait même à l’histoire d’un art dont l’origine remontait déjà à tant de siècles. C’est pourquoi il engagea le précepteur de son fils à revoir les manuscrits d’un lettré du pays, compilation précieuse, quoique mal rédigée : le mandarin la compare lui-même à une pièce