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les vases chinois et les vases grecs.

pays des causes opposées. Tout ce qu’ils fabriquent porte un cachet d’art, superficiel, mais incontestable ; leurs métiers les illustrent, et les œuvres de leurs artisans ressemblent parfois à des œuvres d’artiste. Aussi la porcelaine, leur titre principal à notre admiration, donne-t-elle la mesure la plus juste de leur talent naturel pour la peinture. Dans les petites choses, il faut un peu d’instinct et beaucoup de routine : leur habileté à décorer de la pâte de kaolin durcie au feu n’a jamais été surpassée par les fabriques célèbres que leur exemple a suscitées sur notre continent. C’est pourquoi je ne crois point faire un honneur trop grand aux Chinois ni un affront aux Grecs en rapprochant les produits céramiques de l’un et de l’autre peuple, produits qui demeurent inimitables. Leurs oppositions ne sont pas moins curieuses que leurs ressemblances. J’en signalerai quelques traits, instructifs parce qu’ils expriment toujours un principe, soit déclaré, soit latent.

On remarque d’abord que nulle autre part l’art céramique n’a été d’une fécondité plus variée. Les Grecs ont donné aux vases une foule de noms ; ils les ont appliqués à des usages plus nombreux encore. Ce que nous faisons en bois et en verre, ils le faisaient souvent en terre cuite, depuis les boîtes de toilette jusqu’aux urnes funéraires, depuis les vases à boire jusqu’aux tonneaux destinés au vin. Le tonneau de Diogène était en terre cuite, et la cave de Diomède, à Pompéi, était pleine d’amphores au pied pointu qui s’appuyaient contre le mur. La sculpture faisait cuire également d’innombrables statuettes en argile, des bas-reliefs, des offrandes que les particuliers consacraient dans les temples, des dieux à bon marché pour leurs demeures ou leurs tombeaux. L’architecture, à son tour, demandait aux potiers le couronnement de ses édifices, les chéneaux, les tuiles, les antéfixes, les acrotères, parfois même les figures qui remplissaient les frontons. Dibutade, un Corinthien, avait trouvé, si l’on en croit les Grecs, cette heureuse application de la plastique. En Chine, est-il besoin de rappeler l’emploi multiplié de la porcelaine ? En outre, des statues de toute dimension, qu’il est peut-être téméraire d’appeler des statues, sont ainsi cuites au feu. Quant aux monumens, la Tour de porcelaine nous apprend combien sont considérables les revêtemens qu’ils reçoivent. De cette communauté fortuite d’habitudes résultait une nécessité commune. L’argile comme le kaolin sont des matières d’un ton uniforme ; elles appellent la couleur. Les deux peuples eurent recours à la couleur, et ici commence la différence de leurs systèmes.

Sans porter atteinte aux théories spiritualistes qui président à la science du beau, il faut reconnaître que toutes les branches de l’art subissent jusqu’à un certain point l’influence de la matière qu’elles prétendent dompter. Entre la pensée qui façonne et le corps inerte