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spécialement les mines, la manière de les exploiter, d’extraire le minerai ou le métal et de les raffiner. Et si vous assistez aux transformations d’un métal en un autre, comme celle du fer en cuivre ou en mercure, ou d’un sel soit en un autre sel, soit en un corps insipide, etc., ce sera chose à noter de préférence à toute autre, car il n’y a pas d’expérience qui puisse jeter autant de lumière sur la philosophie et profiter autant (the most luciferous and lucriferous). 10° Observez aussi le prix des alimens et de tous les objets…

« Quant aux détails, voici ce que je vous demande : 1° sachez si à Schemrnitz, en Hongrie (là où sont des mines d’or, de cuivre, de fer, de vitriol, d’antimoine, etc.), on change le fer en cuivre en le dissolvant dans une eau vitriolée que l’on trouve dans les crevasses des roches de la mine, puis en exposant cette solution sirupeuse à un feu ardent. Par le refroidissement, on a du cuivre. On dit que la même chose se fait en d’autres lieux dont j’ai oublié les noms, peut-être en Italie, car, Il y a vingt ou trente ans, on faisait venir de là un certain vitriol (appelé vitriol romain), ayant de plus grandes vertus que ce que nous employons aujourd’hui sous ce nom et nous ne pouvons plus nous procurer ce vitriol, sans doute parce qu’on trouve plus de profit à l’employer à la transmutation du fer en cuivre qu’à le vendre pur. 2° Sachez encore si en Hongrie,en Sclavonie, en Bohême, près de la ville d’Eila ou dans les montagnes de Bohême voisines de la Silésie, coulent des rivières aurifères. Peut-être cet or est-il dissous par une eau corrosive telle que l’eau régale (aqua régis), et la solution est entraînée par un courant qui a traversé les mines. Voyez si le procédé de mettre du mercure dans les rivières, de laisser l’or s’amalgamer, puis de traiter le mélange par le plomb jusqu’à ce que l’or reste pur, est secret encore, ou s’il est ouvertement pratiqué. 3° On a inventé dernièrement en Hollande un moulin pour aplanir les verres et, je pense aussi, pour les polir. Peut-être serait-il utile de le voir. 4° Il y a en Hollande un certain Borry que le pape avait fait mettre en prison afin de lui extorquer quelques secrets de grande importance (à ce que j’ai ouï dire) pour l’art de guérir et de faire fortune ; mais il est enfin en Hollande, où on lui a donné un garde. Je crois qu’il est habillé ordinairement en vert. Informez-vous de lui, je vous en prie, et sachez si ses talens ont été utiles aux Hollandais. Vous pouvez aussi chercher à savoir si les Hollandais ont quelques moyens de préserver leurs vaisseaux des vers dans leurs voyages aux Indes, si les horloges à pendules servent à trouver la longitude…

« Je suis très fatigué, et ne m’arrête pas à de longs complimens ; je vous souhaite seulement un bon voyage, et Dieu soit avec vous.

« ISAAC NEWTON. »


On ne reconnaîtrait guère dans ce donneur de conseils un peu puérils sur la manière de vivre dans le monde, dans cet admirateur des adeptes de Raymond Lulle et du grand Albert, le philosophe le plus pratique et le plus logique des temps modernes et par conséquent de tous les temps, le plus exact des mathématiciens et