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Tous ceux de ses contemporains qui l’ont approché ont décrit sa personne et sa conversation avec le soin et l’admiration que doit inspirer un homme dont un Anglais, Halley, a pu dire : Nec propius fas est mortali attingere divos, sans qu’aucune nation rivale ait réclamé. Aujourd’hui encore il n’est pas un biographe qui ne parle de lui avec toute la partialité d’un contemporain et d’un ami.

En France pourtant, cette biographie est peu connue malgré l’éloge de Fontenelle. Réduits à ne plus pouvoir nier la grandeur des découvertes de Newton et la vérité de sa philosophie, nous semblons nous consoler en médisant de sa personne. M. Biot lui-même[1] a contesté souvent la nécessité de connaître la vie du héros qu’il a célébré, et il est parfois entré en controverse avec sir David Brewster, le plus instruit, le plus récent et le plus habile de ses panégyristes. Il pense d’ailleurs en général que les grands hommes perdent à être bien connus, que, surtout pour les mathématiciens, pour ceux dont les études sont abstraites, la vérité sur leur personne n’est ni intéressante ni utile. Le public semble avoir pensé comme lui, et il est admis que la biographie de Newton ne peut pas être intéressante, sans doute parce qu’on n’y trouve pas la passion exigée pour la tragédie, et dont les deux tentatives de Racine et de Voltaire n’ont pu nous apprendre à nous passer. Quant à l’inutilité, je l’accorde, et la vie des savans est d’ordinaire peu instructive ; les événemens qui l’ont signalée aident rarement à comprendre mieux leurs découvertes, et ne peuvent conduire à en faire de nouvelles. À quoi sert de savoir que la chute d’une pomme a mis Newton sur la voie de la gravitation ? Un tel exemple ne peut être utile à personne, et Newton, n’eût-il jamais vu de pommier, n’aurait probablement pas moins découvert la cause du mouvement des astres. Chaque inventeur a des procédés d’esprit différens, et, par cela même qu’il est inventeur, n’emprunte rien à personne. Quant à la manière de vivre, l’étude n’en peut avoir non plus de grands résultats pratiques, car les idées, les goûts, les habitudes des grands hommes n’ont jamais été les mêmes. Il serait difficile de décider en ce sens quel est le caractère du génie, et de choisir entre la sagesse proverbiale de Newton et les passions de Bichat. En ce genre, il n’y a pas de modèles, et si l’on n’avait que le désir d’être utile, il faudrait négliger la biographie

  1. M. Biot a mis presque autant de soin que Voltaire à répandre la gloire de Newton, et ses travaux sont faits pour décourager les tentatives nouvelles. Outre un article étendu dans la Biographie universelle (t. XXXI, p. 127), il a publié dans le Journal des Savans des réflexions sur tout ce qui a paru depuis vingt ans en Angleterre d’ouvrages inédits, de correspondances, de biographies de Newton. Ces nombreux articles, dont le recueil serait un excellent ouvrage, n’ont jamais été réunis. On les trouve dans les cahiers d’avril, mai et juin 1832, de mars, avril et novembre 1836, de mars, avril, mai, juin, juillet 1852, d’octobre et de novembre 1855.