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son siècle ; il retourne à Dieu et il veut y ramener le monde chrétien par la contemplation de l’ordre providentiel. Béatrice a envoyé Virgile à son secours ; Virgile commence la guérison, Béatrice l’achèvera. Que représentent donc encore une fois Virgile et Béatrice ?

On voit circuler et se croiser, à travers la littérature du moyen âge deux traditions très différentes sur Virgile, la tradition populaire et la tradition savante. D’après la tradition populaire, Virgile est le premier des nécromans. Poésie, science, vertu magique, toutes ces choses se confondent, dès le début de l’époque barbare, dans des imaginations naïvement effarouchées. Transmis par les derniers siècles du monde antique à des générations ignorantes et avides, ce nom de Virgile éveillait l’idée de ce qu’il l’avait de plus grand ici-bas ; le peuple attribua au poète la science des forces secrètes de la nature et le pouvoir de les gouverner à son gré. Toutes les légendes des premiers siècles du christianisme, recueillies en partie dans les Gesta Romanorum, nous montrent le chantre de Didon et d’Aristée émerveillant les humains par des prodiges. Des légendes du peuple, ce type singulier passe dans les poèmes chevaleresques ; Wolfram d’Eschembach le consacre dans le Parceval, et pour l’auteur inconnu de la Guerre de la Wartbourg, Virgile de Naples est l’émule de Basian de Constantinople et de Flagétanis de Bagdad[1]. La tradition savante est plus digne de ce suave génie ; elle en fait un des précurseurs du christianisme. Le chant de Pollion fournissait un texte magnifique à cette transfiguration

  1. Voyez der Singerkriec uf Wartburc, publié par M. Ettmüller. Ilmenau 1830, p. 72.