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l’empereur[1] ! » C’est en effet le moment où la longue lutte du sacerdoce et de l’empire semble à jamais terminée ; mais la mort de Boniface VIII amena des incidens inattendus. Son successeur immédiat, Benoît XI, qui régna à peine quelques mois, fut remplacé par un pontife à qui les ruses de Philippe-le-Bel avaient donné le saint-siège. C’était un Gascon, il Guasco, comme Dante l’appelle. Fils d’un gentilhomme languedocien, dévoué à la politique du roi de France, Clément V, qui venait d’établir le saint-siège à Avignon, ignorait absolument la situation de l’Italie, et ne se souciait guère, à ce qu’il semble, de s’y faire initier. Guelfes, gibelins, ces mots n’avaient pas de sens pour lui ; il se borna à prêcher la concorde. C’était là toute une révolution. De Grégoire VII à Boniface VIII, les papes avaient toujours été les chefs suprêmes de l’armée guelfe ; or tout à coup, sous Clément V, la politique du saint-siège est changée, et ces alliés de trois cents ans, la papauté et les guelfes, sont devenus étrangers l’un à l’autre. Il n’y avait qu’un adversaire commun qui pût les rapprocher. Cet adversaire parut bientôt, mais il vint d’un pays auquel on ne songeait plus : ce ne fut ni la France ni l’Italie qui le suscitèrent, ce fut l’Allemagne.

Après la mort de l’empereur Albert d’Autriche, le 1er mai 1308, Henri, comte de Luxembourg, avait été élu empereur à Francfort. C’était un esprit ardent, chevaleresque, sans aucun sentiment politique, un brillant rêveur que sa fortune éblouit, et qui, à peine monté sur le trône, songea à revendiquer le rôle et les droits du saint-empire. Ce n’était pas une ambition terrestre qui le poussait ; il ne voulait pas entrer en lutte avec le saint-siège comme les empereurs souabes. Il ne demandait qu’à reparaître en Italie, à y reprendre, dans l’intérêt de la chrétienté, cette suzeraineté traditionnelle qui était un droit et un devoir de l’empire ; il demandait à être l’empereur comme le pape était le pape. Descendre en Italie et se faire couronner à Rome par Clément V, tel était le rêve de Henri. Il était de si bonne foi, qu’il demanda l’autorisation au pape, et le pape était si indifférent aux querelles des gibelins et des guelfes, qu’il accorda l’autorisation sans se faire prier. Au mois d’août 1309, Henri reçoit à Heilbronn la réponse de Clément V, et aussitôt il se dispose à partir. Grand émoi dans toute l’Italie. Les gibelins, presque partout proscrits, se croient déjà sûrs d’une revanche ; les guelfes irrités se préparent à une résistance opiniâtre, car les partis ne voient ici que leurs intérêts en jeu, et cet idéal pacifique, qui remplissait l’âme

  1. Vitriarius, Corpus juris publici. Voyez la préface dans l’édition de Pfaffinger ; Gotha 1793. — Dante ne fait-il pas allusion à cette scène quand il fait dire à Marc Lombard au XVIe chant du Purgatoire : « Le glaive a été uni au bâton pastoral ; ainsi joints de vire force, ils doivent mal s’accorder ? »