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téraire de Lamennais et de Jean-Jacques n’est contestée par personne; mais l’Essai sur l’Indifférence a précédé Indiana de plusieurs années, et le second terme de comparaison manque de justesse. Si nous en croyons les pages publiées cette année, le disciple de Rousseau, qui défendait l’autorité de l’église dans la langue du vicaire savoyard, après avoir lu les premiers vers de M. de Lamartine, se serait écrié comme Archimède : Eurêka. Et notez que l’abbé Lamennais, en poussant cette exclamation, avait le coude appuyé sur son oreiller! Qu’il ait exprimé son admiration en grec ou en français, peu nous importe. Ce que nous devons constater d’après le témoignage de M. de Lamartine, c’est qu’en répétant le cri du géomètre de Syracuse, il voyait dans l’auteur des Méditations un défenseur de l’église. Qu’eût-il pensé de l’ode du jeune poète en lisant ce que nous venons de lire? Il avait étudié tour à tour Bossuet et Rousseau, et plus d’une page de l’Essai sur l’Indifférence rappelle l’Histoire des Variations, tandis que la page suivante réveille le souvenir de l’Emile; mais eût-il pardonné à son panégyriste de placer l’Essai sur l’Indifférence après Indiana? Il est au moins permis d’en douter. Les éloges que M. de Lamartine donne aujourd’hui à l’abbé Lamennais ne s’accordent pas précisément avec l’ode publiée en 1820, et ne paraissent pas inspirés par une lecture très attentive de ses œuvres. De quelque manière en effet qu’on juge les variations politiques et religieuses de cet illustre écrivain, qu’on le plaigne ou qu’on l’approuve, qu’on lui attribue la connaissance de la vérité au début ou à la fin de sa vie littéraire, on a peine à comprendre la manière dont M. de Lamartine le baptise. Grand agitateur de style! C’est un étrange panégyrique. Ou les termes ne signifient rien, ou bien ils signifient que l’abbé Lamennais a passé sa vie à remuer des mots. C’était bien la peine de s’écrier : Eurêka, pour obtenir après sa mort un éloge aussi énigmatique. Agitateur de style, autant vaut dire rhéteur. S’il est arrivé à l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence de déclamer comme Rousseau, on ne peut contester la puissance de sa dialectique, et je crois qu’il a souvent remué des idées. En étudiant les pages signées de son nom, on est amené à penser qu’il n’a jamais été assez franchement théologien pour répudier la philosophie, ni assez franchement philosophe pour répudier la théologie ; mais l’éloge que lui accorde M. de Lamartine est bien voisin de l’ingratitude.

M. de Lamartine essaie de tracer le portrait de Balzac, et j’avoue que les premières lignes ont excité en moi une vive curiosité. Entre l’auteur des Méditations poétiques et l’auteur de la Comédie humaine, l’abîme est si profond, que je me demandais comment le poète lyrique avait pu toucher à de telles œuvres. Hélas ! ma curiosité a été