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portait à la Capucine, que Dominique se promenait consciencieusement sur ses terres.

Lorsque M. de Villerglé avait pris le parti de se dérober par la fuite aux invitations de la société aristocratique de Caen, il avait promis à M. de Grisolle de retourner le voir à son château; il ne pouvait à présent se décider à tenir sa promesse. Un jour il en était empêché par une visite à faire au haras de Dozulé, où l’on procédait à une vente d’étalons, une autre fois il avait une entorse; mais rien par exemple ne retardait la visite qu’il faisait chaque jour et souvent deux fois par jour à ses amis du Buisson. Dominique, qui comprenait les choses sans qu’on lui en parlât, disait de tous ces prétextes que sa marraine les tenait dans sa main. Le soir, quand Pierre suivait les bords de la Dives pour rentrer à la Capucine, il comparait quelquefois par la pensée la vie qu’il menait dans cette retraite à celle qui si longtemps l’avait agité à Paris, et il s’étonnait du repos qu’il y trouvait. C’était même plus que du repos, c’était un profond apaisement, une quiétude parfaite, que ne troublait même pas l’ombre d’un regret. Le lansquenet, l’Opéra, la Maison d’Or, tout ce tumulte et ce bruit des jours passés lui semblaient autant de chimères auxquelles le réveil l’avait fait échapper. Quelque chose cependant lui manquait encore, mais il ne pouvait pas dire quoi; il croyait que c’était l’habitude.

Un jour après la messe, où Louise avait voulu que son compère allât chaque dimanche, M. de Villerglé entendit une bonne femme qui parlait du mariage de Mme Morand. — C’est une affaire conclue, disait la bonne femme. Pierre la regarda et n’osa pas l’interroger. Il rentra pour déjeuner et trouva tout mauvais. Il avisa Dominique, qui s’en allait son fusil sur l’épaule, et lui ordonna de rester à la maison; il était fatigué, disait-il, de l’entendre brûler sa poudre aux mouettes. Il alluma un cigare, et le cigare ne brûla pas. Tout marchait de travers ce jour-là. Certainement Pierre n’avait rien à voir au mariage de sa commère, qui avait bien le droit de donner son cœur au premier venu; mais enfin il aurait été poli de l’en prévenir. — Je vais le lui dire, murmura-t-il.

Il sauta sur un cheval et courut au grand galop vers le Buisson. Quand il fut à l’angle du chemin derrière lequel on voyait la maisonnette, il s’arrêta court. Le cœur lui battait un peu. Louise vint au-devant de lui. — Voilà une heure que je vous attends! dit-elle. Et notre promenade ?

Pierre s’excusa ; il avait eu dix lettres à écrire, puis il avait craint de la déranger.

— Moi ! reprit-elle, vous savez bien que le dimanche tout est en ordre à la maison ayant midi.